mercredi 16 mai 2012

Happy Birthday!! 2/2


Une des rares fois où j’ai vu mon père, cet éternel optimiste, manifestement déçu, fut à la place Syntagma.  Il venait de retrouver, 30 ans après, son amour de jeunesse, le  pays où il avait passé de longs mois de vacances à dormir sur la plage et à sillonner les îles avec un sac à dos. Il voulait nous montrer les terrasses où il avait passé ses après-midi d’été à boire de l’ouzo plongé dans des fauteuils en osier. En arrivant, la place était toujours là, le parlement était toujours là, les soldats avec leurs pompons ridicules étaient toujours là, mais les fauteuils en osier avaient été remplacés par les chaises en plastique du Mac Do, du Dunkin Donuts et du Haggen Hatz.

Avouons-le, au-delà des réussites et des échecs de ces quatre jours et de leur indéniable effet marketing, le 12m15m (le nom übercool que l’on a donné aux festivités et aux actions qui ont accompagné le premier anniversaire du 15 M) est déjà imprégné de nostalgie et de l’impossibilité tragique de faire revivre le passé.

La raison est très simple. Certes, le 15 M de la première étape, celle d’acampadabcn et acampadaSol, était puérile et peu opératoire. Certes, la fin, après deux mois, frôlait le pathétique, avec les punks à chiens et les clodos et une expulsion que personne de sensé a condamné. Mais avec le recul, putain ce que c’était bien. Le mouvement a profité d’un moment d’extrême faiblesse du gouvernement socialiste pour faire à peu près ce qu’il voulait. En quelques semaines, ils auront tout essayé, et c’était là sa force : il n’y avait pas de scénario écrit. Il était imprévisible, il fallait suivre au jour le jour la tension des forces qui le composaient pour le comprendre, on savait jamais ce qui allait se passer le lendemain.


Un an après, les actes successifs de la pièce qu’ils nous ont joué étaient prévisibles du début jusqu’à la fin. Les indignés sont désormais majeurs : ils ont rejoint tous les autres acteurs politiques dans ce mauvais feuilleton bourré de clichés qu’est la vie politique.

Ça a donc commencé par une grande manifestation. Voici les dangereux radicaux antisystème qui m’ont accompagné (ou d’après une ministre, les assistés qui ont plongé le pays et qui maintenant manifestent) : une avocate à succès, un ingénieur en télécommunications et un professeur.



On prend un coup de vieux en regardant autour, et nos vielles jambes supportent mal les plus de trois heures de marche. En arrivant à Place Catalogne quatre heures après, le cœur n’y est plus. C’est pourtant l’heure de la grande messe : le retour triomphant des indignés ne pouvait se faire sans une assemblée populaire. Peu importe qu’une assemblée à plusieurs milliers ne soit pas le comble du pratique. La fonction n’est évidemment pas décisionnelle (ça fait longtemps que les décisions se prennent ailleurs). Elle est surtout symbolique et informative, il faut expliquer aux sympathisants ce qu’on leur a concocté pour les prochains jours. Quand on commence à rappeler la liturgie canonique des assemblées, nous nous éclipsons.


La nuit, j’y retourne quand même. C’est le moment club social, on est certain de retrouver des gens, et en plus, c’est sûr qu’il y aura la moitié de toute la mouvance transpédégouines-panthères roses. Je finis par papoter assis par terre et j’apprends que ma conception de la vie est celle d’un chemin plat et goudronné, où tout est à portée de main, et où tout le monde est prêt à m’aider à parvenir à mes objectifs. Pas faux. Sinon, je suis un peu déçu. Elles sont où ces commissions et ces groupes de travail qui restaient à parler de politique, à refaire le monde et planifier des actions jusqu’à deux ou trois heures du matin ?



Le lendemain, c’est dimanche, on est sur Place Catalogne, haut lieu de promenade dominicale pour familles et couples de papys, les indignés se doivent de se montrer sous leur jour le plus respectable. Sous les tentes, les iaioflautas distribuent des beaux dépliants aux passants. Ah, les iaioflautas ! Contraction de iaio (papy) et de perroflauta (punk à chien), c’est l’énième trouvaille médiatique du 15M (toujours à l’aise avec la com übercool), un groupe de vieux qu’on met toujours en première ligne et qu’on envoie faire des actions un peu partout, banques, tribunaux, hôpitaux, etc.



Le programme de la journée présente les horaires de réunion des différentes commissions. Mais première surprise : à côté des horaires on voit le nom d’une sorte de conférencier, avec ses galons d’autorité (des profs, des profs et des profs, vous l’avez deviné). Je m’approche à la commission éducation et mes soupçons sont confirmés : la parole horizontale, plurielle et complètement destructurée de l’année dernière a laissé la place à une parole quasi monopolisée par un spécialiste. Mais il faut avouer qu’il parle bien, que c’est intéressant et qu’il interpelle bien les passants. Et surtout que, dès qu’il finit son discours et cède la parole, ça devient chiant à mourir et je finis par me casser. De toute façon je n’ai jamais été très parole plurielle intelligence collective moi.




Deuxième entorse à l’horizontalité, les spécialistes sont malgré tout hiérarchisés. Et à 17 h il y a une des stars médiatiques du 15M qui parle, l’économiste Arcadi Oliveres, professeur à l’université et le genre de mec à ne pas rater un seul congrès d’ATTAC. Dans une ambiance caméras de télé et micros radio et devant plusieurs centaines d’adorateurs, dont pas mal de passants surpris, il vient nous parler de l’audit citoyen de la dette. J’ai pas tout compris mais en gros, la partie de la dette qui ne serait pas légitime, faut pas la payer.



Bref, vous l’aurez compris, le but de l’opération de ces journée n’est vraiment plus de faire émerger des idées (d’où la perte totale de spontanéité) mais de se donner une légitimité en se défendant des critiques de stérilité et en affichant le travail accompli, théorique et pratique. Or je crains que le sacrifice de la spontanéité au profit d’une éventuelle aura de respectabilité (qu’ils auront bien du mal à se donner)  ne soit pas une impasse…    

lundi 14 mai 2012

10 bonnes raisons de rester sur facebook


Admettons, lecteur, que tu aies commis l’irréparable, que tu aies eu la bêtise de sacrifier ta vie professionnelle et intime sur l’autel de la déconnade couillue version 2.0. 
Qu’un jour funeste où tu t’emmerdais sec à ton bureau, tu te sois laissé piéger par les sirènes facebookiennes, tel un Ulysse de bazar, capitaine abandonné juché sur ton minable petit fauteuil en acrylique, le regard torve, les aisselles moites.
Après tout, quel français digne de ce nom peut résister à ce coquin, pour ne pas dire érotisant «C’est gratuit (et ça le restera toujours) »? Gratuit ! GRATUIT ! Ahhh, magie de la gratuité ! Hum, excusez moi, c’est ce mot là… J’ai beau savoir que ça n’existe pas pour de vrai, je ne peux pas m’empêcher.

Mais bref, nous ne sommes pas sur un de ces sites de coupons de réduc’ et autres codes promos à l’adresse des radins (érigés en héros des temps modernes, triste siècle). Moi j’ai la classe old school, je paie plein fer, non sans m’être assurée que tout le monde avait bien remarqué mes largesses. On a beau aimer la beauté du geste, on n’en reste pas moins un petit malin.

Tout cela pour te dire que te voilà ici, un peu comme un con, n’ayons pas peur des mots… et c’est un univers infini de possibilités de tricotage et détricotage d’oisivetés décomplexées. Ambiance société-des-loisirs. RTT rules.

Là il y a deux types de novices :

1/ le passionné :

Immédiatement emballé, il passera plus de 24h online à la recherche du statut le plus kikoolol, de la photo de profil –bien qu’il puisse y apparaître de face- la plus sexy-un-peu-trendy-mais-pas-trop-dark, des camarades de CE2 de cette bonne vieille époque de l’école Annie Cordy de Saint Frottin sur Morve.
Inutile de préciser que ce premier type d’individus sera très rapidement en situation de licenciement pour faute et/ou d’instance de divorce. Et ce n’est hélas pas Romain Michonneau du CE2 qui viendra l’aider à rembarquer son bureau en mélaminé noir de style François Mitterand chez ses parents.
Ironie du sort, Facebook sera dorénavant sa planche de salut, compte tenu du fait que regarder « Le juste prix » chaque soir à table, assis entre papa et maman, passé 30ans, est assez dur à avaler.

2/ le sceptique :

Il était sceptique, un peu par principe, un peu par posture. Mais l’entourage lui à tant rebattu les oreilles avec ce maudit Facebook que c’est à la faveur d’une journée d’ennui profond, ou pire, de retour de cuite, qu’il se trouve un jour, yeux dans les yeux, seul à seul, face à la bête. Le duel tant redouté est donc arrivé. La putassière proposition de « contacts » et de « gratuité » lui fait alors tourner la tête cependant que son pouls s’accélère. Ses mains crispées se cramponnent au contreplaqué du bureau Conforama. « Je vaux mieux que tout ça ! La vérité est ailleurs ! Qui trop embrasse mal étreint….argh !!!! ». Trop tard, il a cliqué.
Le plaisir de la découverte est salement gâché par cette question qui l’empoisonne déjà considérablement : « Comment vais-je justifier mon acte ? Je me sens si sale ! » Et très vite après avoir pleuré, la tête plongée dans ses paumes de la honte, les idées reprennent le dessus : « Je n’aurai qu’à dire que je viens tester. Mieux ! Aller dire que c’est nul. »
Le beurre et l’argent du beurre.
Alors passée la douce époque du dépucelage où l’on n’ose pas encore mettre une photo de profil, on se dit qu’il faut bien voir de quoi il retourne. Puis compléter, parce que ça fait plus « sympa ». Puis en fait, Michonneau, il est assez drôle. Peut être même plus drôle que ma femme, tiens… « Oui chérie, j’arrive j’arrive, je finis un dossier là ! … Quoi ?!! Eh oui, je fais beaucoup d’heures sup’, ouais ouais, je sais, mais je vais gueuler crois-moi ! ». Plus drôle que ma femme, je disais donc. « OUI, CA VA, J’ARRIVE !!! Rohhh ».

Bref je ne vais pas te noyer davantage dans une diatribe aussi imbécile qu’inutile, tu l’as compris : 1 et 2 vont finir au même point. La différence c’est le temps que cela leur prendra. Et le fait que 2 ait toujours l'air plus intelligent que 1, bien que l'on sache pertinemment qu'il en sera rendu au même point. Eh oui. Je sais, c’est difficile à entendre, mais il y a un temps pour s’amuser et un temps pour prendre sur soi, lecteur.

Alors, on est pas vaches à l’Agora, on va adoucir ton amertume en t’exposant, là, de suite, ici et maintenant, 10 bonnes raisons de rester dans cet enfer bleu :

1.        Ca occupe, c’est indéniable. On perd beaucoup de temps - je te déconseille d’ailleurs d’essayer d’en faire le compte - mais lorsque l’on s’ennuie, avec les contributions de quelques chaleureux contacts, on peut rire de bon cœur et ne plus voir le temps passer,

2.        On peut enfin se montrer sous son meilleur jour. Si tu ne peux choisir ta gueule, tu peux toujours choisir la photo qui la met le plus en valeur. Si t’es pas trop bête, tu peux même sembler intéressant à peu de frais,

3.        Si tu es seul, tu peux draguer, et gratos avec ça! Note que c’est valable pour absolument TOUS les sites possibles et imaginables, du boncoin en passant par marmiton.org, et ce, même si les filles ne t’ont strictement rien demandé. Sur un malentendu, ça peut marcher…

4.        Si tu n’es pas seul, tu peux toujours vérifier que ta femme est bel et bien devenue une pisse-vinaigre de première. Il te suffira pour cela de comparer avec tes contacts femelles. Comme Cindy du collège Jean Lefevre de Trafignolles-sur-Vase, la s... !

5.        Si tu es un mateur, abandonne les rideaux de dentelle de ta cuisine, profites-en pour les laver, on n’y pense jamais assez. Viens mater derrière ton écran ! Tu verras que tout un tas d’énergumènes se feront un plaisir de t’en faire voir des vertes et des pas mûres, et tout ça, pour pas un rond. Puisqu’on te le dit que c’est gratuit.

6.        Si tu es exhibitionniste, et comme je suis un peu paresseuse, retourne la précédente proposition,

7.        Si tu as des choses à dire : c’est un formidable outil de diffusion et de communicaion, qui somme toute, reste un outil. Tu es donc libre d’en faire quelque chose de funky,

8.        Si tu n’as rien à dire, c’est le moment rêvé de te lancer. L’ère du petit timide que les gens pensaient sourd-muet en soirée est révolu ! Ici, tu es sur la piste verte de la comm’, petit !

9.        Si tu n’as pas d’amis, et si tu te débrouilles bien, tu pourras peut être espérer en gagner un ou deux. Attention, c’est pas rien, un ou deux vrais amis! IRL j’entends. Du genre qui-te-déménagent-le-bureau-en-mélaminé-noir. Si tu en as déjà, tu enrichiras ton cheptel. Par contre, on ne va pas se mentir, si tu es complètement abruti, ça ne marchera pas mieux que dans la vraie vie. On est sur Facebook, pas à Lourdes non plus,

10.      Si tu as des amis que tu ne peux pas souvent voir, eh bien, tu pourras rester auprès d’eux aussi souvent que tu le désires. L’adage « loin des yeux loin du cœur » est tombé en désuétude avec Facebook, et cela, je le dis sans ironie aucune. C’est peut être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup.


Voilà lecteur, je t’avais promis cette liste, tu l’as eue. Tu as perdu encore un peu plus de temps sur ta vraie vie mais peut être, si tu ne le regrettes pas, nous pourrons en être satisfaits tous les deux.



happy birthday ! (1/2)

Et ce jour là, le petit cadet de la scène politique espagnole, une erreur non programmée, accouchée par surprise et dans la précipitation, célébra son premier anniversaire. Et alors qu'un prix Nobel d'économie prévoyait la sortie immédiate de la Grèce de l'Euro et un corralito (impossibilité du jour au lendemain de retirer de l'argent) en Italie et en Espagne, pour empêcher la fuite des capitaux, les rues et les places furent à nouveau le terrain de jeux de ce mélange indéfinissable de mouvements politiques, citoyens, bisounours, radicaux et new age qu'est le 15M, l'appellation espagnole des Indignés. 

Il faut avouer que la place avait bien été chauffée pour que  la fête soit un grand succès. En quelques mois de gouvernement, Rajoy a réussi à ne pas tenir une seule de ses promesses électorales (Il parait que certains croyaient vraiment qu'il n'allait pas toucher aux retraites, éducation, TVA, impôts, licenciement, etc.). Et tout ça, pour se retrouver avec une prévision de 27 % de chômage en 2013. Mais c'est surtout le sauvetage de Bankia, la semaine dernière, qui a embrasé les foules. Bankia, le symbole de la bonne gestion de la droite espagnole, ancienne caisse publique, privatisée l'année dernière, avec à sa tête le flamboyant ancien ministre d'Aznar et directeur du FMI, Rodrigo Rato, se retrouve à quémander 35 milliards pour survivre. Et au gouvernement de s'exécuter avec promptitude. 

Rajoutons que la presse nous a bassiné pendant des semaines sur les préparatifs de cette birthday party, soit parce que c'est un sujet vendeur, soit parce que, comme vous expliqueraient les groupuscules crypto-trotsko-staliniens, c'est la CIA qui est derrière les indignés, le résultat c'était ça :




Alors les chiffres, parce que c'est important les chiffres, ils décident, tel le pouce de l'empereur, de la mort ou de la survie d'un mouvement : 50 000 personnes à Barcelone d'après la police. 300 000 d'après les organisateurs. C'est honnête, surtout si on pense qu'il s'agit à 90 % de jeunes entre 15 et 30 ans.  Et comme il est beaucoup question de bilans du 15 M ces jours-ci, on pointera un premier point positif : cette jeunesse espagnole massivement abrutie par les drogues et l'alcool, qui a eu la mauvaise ou la bonne chance de naître dans la cour de récréation de l'Europe, se reconnait là-dedans. C'est la première fois qu'ils se bougent le cul en 30 ans, depuis qu'Almodovar et la Movida ont érigé la frivolité en idéologie pour en finir avec l'ultrapolitisation et les clivages des premières années de la démocratie. 

Le reste du bilan est plus mitigé. Pour les hypothèques, par exemple, Ils arborent fièrement les 250 expulsions arrêtées en un an, c'est pas bien lourd face aux dizaines de milliers d'expulsions effectives. Et c'est bien beau de répéter constamment, qu'ils travaillent, qu'ils posent les bases d'un mouvement profond, ancré dans les quartiers et tout ça, de temps en temps on aimerait savoir où ils en sont. Menacés d'oubli, s'entredéchirant en interne, nourrissant la suspicion de la classe politique, qui les voit comme des gentils rigolos d'extrême gauche, et la suspicion de l'extrême gauche, qui les voit comme un divertissement bisounours-happening qui détourne la classe ouvrière des vrais problèmes, ce qui restait des structures issues du printemps derniers avait bien conscience qu'il leur fallait un bon coup de projecteur pour montrer que si si, ils travaillaient activement pour l'imminente (r)évolution globale.  

Et ça a été un succès. Pouvaient-ils espérer un scénario plus favorable? Tandis qu'à Barcelone la Mairie autorisait un campement pour quatre jours, leur permettant de recréer (un peu artificiellement, il faut l'avouer) l'ambiance de débats et dialogue du printemps dernier, et de prendre le micro en plein centre ville pour exhiber les initiatives qu'ils portaient (audit citoyen, IPL, etc, j'y reviendrai), à Madrid, une circulaire obligeait la manifestation à se dissoudre à 22 heures, refus qui a du provoquer des puissantes érections chez les responsables du 15M, imaginant une résistance pacifique homérique et une violence policière déchaînée qui provoquerait le grand mouvement de foule épidermique dont ils ont besoin pour revenir vraiment sur le devant de la scène. Finalement, une fois n'est pas coutume, la police a été plus intelligente, et a délogé les quelques centaines de fêtards éméchés qui restaient sur la place à 4h30 heures du matin (j'ai pu voir ça en streaming en revenant de boîte, c'est quand même formidable le XXIe siècle), au lieu de le faire en plein jour comme à Barcelone l'année dernière. Il y a évidemment eu un peu de tension, mais rien de très spectaculaire, et les cris d'indignation qu'on entendait aujourd'hui n'ont pas vraiment pris, ils avaient quelque chose de tristement convenu, qui faisait rentrer le 15M dans les jeux des calculs et de l'affectation surjouée qui rend le spectacle politique si prévisiblement chiant. 

Petite paranthèse pour fermer cette introduction : il est clair que la police, quand elle veut faire clean et efficace, elle peut. Or la grève étudiante de février et la grève générale de mars ont fini en bataille rangée. Hier, par contre, c'était bisounous land. Les trotskos expliqueraient qu'on tente de rediriger le mécontentement vers des formes d'expression plus innofensives. On aura un élément de réponse dans 10 jours, avec ce qu'on prévoit être la plus grande grève dans l'éducation qu'ait connu le pays, de la maternelle à l'université.

Et après cette mise en contexte, promis je reviens cette semaine avec un recit plus en mode "moi j'y étais", avec photo et tout et tout.


dimanche 13 mai 2012

Merci Sarko

Même s'agissant de Sarkozy, on ne doit pas déroger à la coutume: ,quand un président s'en va on doit dresser son bilan; dire le positif et le négatif. Pour le négatif, d'autres s'en sont chargé. Pour ce qui est du positif, on ne lui a pas rendu suffisamment hommage. Il faut donc réparer cet oubli.

"Merci Nicolas", tout un chacun aurait dû le prononcer à un moment ou à un autre. Pas seulement ceux qui en ont croqué (et je ne parle pas que du pouvoir) mais aussi tous les autres, hommes publics comme clampins privés. 
  • Le Parti Socialiste. Sans Sarkozy, ils auraient pu courir longtemps avant de revenir au pouvoir. On n'a que trop insisté sur le fait que le vote Hollande était en grande partie un rejet Sarkozy mais on n'a pas assez analysé l'effet "vote utile" qui a fonctionné à fond au premier tour et qui a littéralement laminé les partenaires habituels du P.S comme les Verts ou qui a freiné la progression, qui s'annonçait inéluctable, d'un J.L. Mélenchon ou qui a encore mis à mal le vote d'extrême gauche qui était devenu une belle tradition française jamais démentie lors des précédentes présidentielles. Au delà de ce phénomène, le programme, sommes toutes, très centriste et très mou de François Hollande ressemble pour certains à une utopie gauchisante et pour d'autres à un programme de gauche acceptable. Même ceux qui pouvaient penser, légitimement, qu'il n'y avait aucune différence entre le PS et l'UMP en sont revenus. Et François Hollande peut se faire passer, à peu de frais, pour le Ché. 
  • Le FN. Passer en cinq ans de la marge au centre, il faut le faire; Au delà de son score électoral, c'est la propagation de ses idées et leur essaimage que Marine doit à Sarkozy. Le temps des moissons n'est pas encore venu mais elle peut d'ores et déjà dire merci à Sarkozy.
  • Les syndicats. Je suis incapable de le quantifier, mais je suis certain que les syndicats et tous les corps intermédiaires lui doivent aussi beaucoup. Nicolas Sarkozy a hystérisé toutes les questions. Tout ce qu'il touchait devenait sensible et poussait les gens, même les moins revendicatifs, à se dresser et à s'opposer à lui. Pensez, que le SNALC a appelé à manifester contre le décret concernant la modification des modalités de notation des enseignants, imaginez que l'enseignement privé a soutenue des mouvements de grève protestant contre la suppression des postes etc. Si le syndicalisme n'est pas arrivé à prendre des couleurs sous l'ère Sarko c'est qu'il n'en reprendra jamais et les leaders syndicaux ne devront s'en prendre qu'à eux-mêmes.
  • Angela Merkel. Même si c'est un peu caricatural, on ne m'enlèvera pas de l'idée que c'était un peu le toutou à sa mémère. La complicité n'a été  affichée que lorsque Nicolas a rendu les armes et s'est aligné sur la ligne allemande. On a vite oublié les débuts calamiteux entre ces deux personnages. Angela n'aimait pas le style trop berlusconnien de Sarkozy et lui faisait largement la gueule à cause de ses familiarités et de ses rodomontades des débuts. mais dès qu'il a appris à devenir sage et à arrêter de lui mâchouiller les escarpins, ils sont devenus amis. sans lui que va devenir le couple franco-allemand?

  • BHL. Plus personne ne le prenait plus au sérieux, hormis sa bien aimée et voilà-t-y pas que Sarkozy déclenche une guerre (rien de moins) sur les conseils avisés de notre intrépide philosophe (en tout cas c'est ce qu'il raconte et ce qui, du coup se raconte). Je ne sais pas si sa côte de crédibilité est remontée mais en tout cas sa côte de nocivité et de nuisance à coup sûr, oui.
  • Les opportunistes. Quel grand moment que l'ouverture à gauche. Qu'est-ce qu'on dit Eric, Rama (oui elle a hésité à être de gauche), Bernard (qu'on a vite oublié), Martin, Fadela, Jean-Marie (Bockel, pas l'autre) et même Jack, Michel, Claude, Jacques (ils ont eu les miettes et en espéraient surement davantage)? On dit: "Merci Nicolas".
  •  Les humoristes. Même Gérald Dahan est devenu subversif et presque drôle. Pire, Anne Roumanoff s'est mise à imiter Guy Bedos. Et je ne parle pas du martyr des martyrs, de celui qui a été contraint à l'exil (de France Inter) par le pouvoir en place et qui depuis sa terre d'exil ensauvagée a écrit ses Tristia et ses Epistulae ex Ponto.
  • Les journalistes. Ils ont vite compris comment tirer le plus de profit de sa présence et sont passés en quelques jours de la flatterie la plus veule et la plus crasse à l'acharnement le plus spectaculaire. On peut citer des journaux en particulier mais la curée a été  générale. Même des larbins comme Frantz-Olivier Gisbert se sont senti naître une verve satirique. Tous les médias ont été pris de la folie Sarko et, il faut le reconnaître, les débats étaient spectaculaires, même si on se lasse vite, y compris des bonnes choses.
  • Les linguistes et les professeurs de Français. Tout à coup, la fameuse ritournelle "le niveau baisse" avait une réalité, mieux, un corps, une voix et un visage. Du coup, pour ne pas finir comme Sarkozy en dépeceur de la langue et en écorcheur de la syntaxe, beaucoup se sont replongés dans leur grammaire pour tenter de garder une certaine dignité linguistique.
  • Les marchands de luxe. C'est bien connu, toute l'industrie fout le camp, à l'exception de l'industrie du luxe. Rolex et autres marques doivent dire merci à Sarko, non seulement, parce qu'il en a fait la promotion mais aussi parce qu'il a permis aux riches de s'enrichir et de pouvoir consommer et de se vautrer dans plus de luxe.
  • Moi. Je sais qu'on n'a pas le cul sorti des ronces mais je ne peux m'empêcher de me sentir plus léger. C'est pas très rationnel pas, très intelligent mais le soir de l'élection, j'étais limite joyeux, ce qui chez moi n'est pas très habituel. Je n'irais pas jusqu'à parler d'euphorie mais j'étais au moins aussi soulagé qu'un gangréneux qu'on vient d'amputer et à qui on annoncerait qu'on lui a sauvé sa deuxième jambe. Donc, pour ma jambe sauve, merci Nicolas.

  • Et moi. Si avant son règne je pouvais encore prendre quelque ombrage de remarques narquoises sur mes 161cm de haut, depuis 2007 je mesure à quel point tout est relatif. Et c'est ainsi que je ne me refuse plus la moindre excentricité pour me faire remarquer. L'important, ce n'est pas la rose, non, c'est l'agitation. Et de l'agitation, il y en avait dans mon coeur le 06 mai dernier. Après tout, pourquoi ne pas se permettre d’espérer? Et puis, ce qu'il y a de commode avec le néant, c'est que l'on peut toujours raisonnablement attendre un "mieux", un "plus". Alors, finalement, que l'on soit cette personne pas vraiment grande qui cherchera à se placer à côté d'un plus petit qu'elle sur la photo, que l'on soit François, qui, de facto, a un bien beau rôle en arrivant après Nicolas, le principe, c'est toujours le même: la re-la-ti-vi-té!

La liste n'est bien sûr pas exhaustive et peut être complétée à l'envi mais j'espère que je vous ai convaincus... Il faut rendre à César ce qui lui appartient.

Ce qui doit être dit


Pourquoi me taire, pourquoi taire trop longtemps
Ce qui est manifeste, ce à quoi l'on s'est exercé
dans des jeux de stratégie au terme desquels
nous autres survivants sommes tout au plus
des notes de bas de pages
C'est le droit affirmé à la première frappe
susceptible d'effacer un peuple iranien
soumis au joug d'une grande gueule
qui le guide vers la liesse organisée,
sous prétexte qu'on le soupçonne, dans sa zone de pouvoir,
de construire une bombe atomique.
Mais pourquoi est-ce que je m'interdis
De désigner par son nom cet autre pays
Dans lequel depuis des années, même si c'est en secret,
On dispose d'un potentiel nucléaire en expansion
Mais sans contrôle, parce qu'inaccessible
À toute vérification ?
Le silence général sur cet état de fait
silence auquel s'est soumis mon propre silence,
pèse sur moi comme un mensonge
une contrainte qui s'exerce sous peine de sanction
en cas de transgression ;
le verdict d' « antisémitisme » est courant.
Mais à présent, parce que de mon pays,
régulièrement rattrapé par des crimes
qui lui sont propres, sans pareils,
et pour lesquels on lui demande des comptes,
de ce pays-là, une fois de plus, selon la pure règle des affaires,
quoiqu'en le présentant habilement comme une réparation,
de ce pays, disais-je, Israël
attend la livraison d'un autre sous-marin
dont la spécialité est de pouvoir orienter des têtes explosives
capables de tout réduire à néant
en direction d'un lieu où l'on n'a pu prouver l'existence
ne fût-ce que d'une seule bombe atomique,
mais où la seule crainte veut avoir force de preuve,
je dis ce qui doit être dit.
Mais pourquoi me suis-je tu jusqu'ici ?
parce que je pensais que mon origine,
entachée d'une tare à tout jamais ineffaçable,
m'interdit de suspecter de ce fait, comme d'une vérité avérée,
le pays d'Israël, auquel je suis lié
et veux rester lié.
Pourquoi ai-je attendu ce jour pour le dire,
vieilli, et de ma dernière encre :
La puissance atomique d'Israël menace
une paix du monde déjà fragile ?
parce qu'il faut dire,
ce qui, dit demain, pourrait déjà l'être trop tard :
et aussi parce que nous - Allemands,
qui en avons bien assez comme cela sur la conscience -
pourrions fournir l'arme d'un crime prévisible,
raison pour laquelle aucun
des subterfuges habituels n'effacerait notre complicité.
Et admettons-le : je ne me tais plus,
parce que je suis las de l'hypocrisie de l'Occident ; il faut en outre espérer
que beaucoup puissent se libérer du silence,
et inviter aussi celui qui fait peser cette menace flagrante
à renoncer à la violence
qu'ils réclament pareillement
un contrôle permanent et sans entraves
du potentiel nucléaire israélien
et des installations nucléaires iraniennes
exercé par une instance internationale
et accepté par les gouvernements des deux pays.
C'est la seule manière dont nous puissions les aider
tous, Israéliens, Palestiniens,
plus encore, tous ceux qui, dans cette
région occupée par le délire
vivent côte à côte en ennemis
Et puis aussi, au bout du compte, nous aider nous-mêmes.


Günter Grass (16 avril 2012)

mercredi 9 mai 2012

Une belle chiasse verte


Si on devait faire une nouvelle fois la démonstration de la misère politicienne on prendrait assurément comme exemple le lamentable et pathétique spectacle que nous offrent ces jours ci Europe-Ecologie Les Verts.

Tout émoustillés de la victoire néerlandaise, voici donc ses dirigeants qui ne prennent même plus la peine d'essuyer la bave qui coulent au coin de leurs lèvres encore gonflés d'avoir avalé toutes les couleuvres que l'accord préalable signé avec le PS les avait condamné à ingurgiter.

On me dira que je fais une fixette malsaine là dessus mais il m'a été difficile d'y échapper. Et le culot monstre dont font preuve les dirigeants du parti (parmi lesquels on cherche les anciens semi-babos et illuminés qu'on trouvait encore il y a de cela quelques années) laisse pantois.

L'effet amplificateur de l'activité médiatique qu'ils mènent ces jours ci est, soit dit en passant, catastrophique d'un point de vue de l'image ( si tant est qu'une image positive des Verts ait pu être sauvée), tant il accroit le sentiment de cacophonie dans la course à l'échalote. Voici donc de jeunes - et moins jeunes - arrivistes et ambitieux qui ont mis leur piètre machine au service de de la victoire de la gauche et qui entendent en récolter le maximum de fruits. Ca râcle sévèrement du parquet. Pensez donc! Sans nos 2% Hollande n'aurait pas gagné!

Mais quelle loufoquerie. On dirait une pièce de théâtre. C'est si caricatural qu'on y croit à peine.
Ils doivent bien se marrer au PS, les paillassons recyclables se font légions, c'est à celui qui se fera marcher dessus en premier. La mère Duflot, reine du tweet, qui annonce opportunément cesser ses fonctions de première secrétaire, la première. Et dire qu'elle pérorait ses imprécations morales contre Mélenchon, ce vieux routard de la politique politicienne, qui roulerait son monde dans la farine. Elle a rien à lui envier. Si ce n'est peut être un peu plus de probité en fin de compte.

Ils se sont vendus pour moins que 30 deniers. Ils ont accepté un accord qui rendait leur programme illisible et impraticable tant il était arrimé à celui du PS. Ils ont insisté pour présenter un candidat qui devait faire le maximum sans faire ombrage à ceux qui se présenteraient dans son sillage pour obtenir un maroquin. Ils ont savonné sciemment et consciencieusement la planche d'une candidate pas si docile et difficilement contrôlable afin qu'il ne lui prenne pas de trop grappiller de voix au suzerain socialiste. Ils ont effectué les basses oeuvres de ce dernier en tapant aussi fort que possible sur Mélenchon et le Front de Gauche, prétextant un monopole qu'ils exerceraient sur la pensée écologique et sur la décence politique, ils se sont montrés à la Bastille, ils ont distribué des tracts...Ils ont tout fait. Ils feront tout. Ils ont massacré leur candidate mais n'hésitent tout de même pas une fois l'élection passée et mamie-lunettes rangée au placard à se revendiquer fièrement de ses pauvres 2,5 % pour briguer une place de choix à la table du maître. Comment peut-on manquer de dignité à ce point là ? Le larbinat atteint son comble mais on pourrait sans doute aller plus loin, c'est pour cela qu'ils obtiendront peut être plus d'un poste parce que plus ils en auront plus ils abandonneront de points de leur programme, plus on achètera leur silence sur le nucléaire ou dans les rangs de l'Assemblée.

Comment peut-on être si naze, si pauvre, si pitoyable, si détestable alors que l'on au départ dispose d'or en barre idéologique ? L'écologie politique est sans doute l'avenir de l'humanité mais eux l'ont proprement dilapidé sur l'autel du pouvoir pour le pouvoir et de l'arrivisme des feignasses qui, sentant la voie bouchée du côté du PS ont préféré prendre les chemins de traverse d'un parti en quête de sens politique, déjà travaillé par des tiraillements irréconciliables, où faire preuve d'un peu de cohérence et d'ambition doit suffire pour s'imposer et accéder aux sommets.

Je suis virulent, je suis méchant, mais c'est à la mesure sans doute de la déception qui est mienne. J'ai trop la haine. Il fût un temps, celui d'une jeunesse insouciante ( qui n'a pas résisté aux 10 années de droite que nous venons de nous taper ) où les Verts représentaient un vent de fraîcheur et d'avenir dans le paysage politique. Ils ont tout vendangé, ruiné, démantelé. Comme des sagouins, des gosses de nantis irresponsables cassant leurs jouets. Un peu à cause du système institutionnel, un peu parce que le système les a baisé, un peu parce que petits et moyens bourgeois qu'ils sont il n'aurait pu en être autrement, beaucoup par arrivisme. Parfois les réponses sont simples. Y'a qu'à les voir tortiller derrière les micros, l'oeil qui brille, la bonne répartie tout prête, le costard et la cravate bien en place (qui se souvient que le pull informe d'Alain Lipietz avait été le premier candidat en 2002 et qu'il avait été éjecté par les manipulations de Mamère) . Après le ministère, ça sera une belle mairie progressiste. Le PS en état souveraineté quasi totale en France aura des fiefs à distribuer, et de beaux. L'exemple de Voynet en son domaine bobo montreuillois doit donner envie.

Qu'ils crèvent. Je rêve de quelque libertaire hirsute et chevelu d'un courant babs et minoritaire entartant tous ces cons (la vidéo n'a rien à voir mais elle fait plaisir) ces Duflot, Placé, Voynet, Jadot, Cohn-Bendit et j'en passe lors du prochain congrès. En attendant nous constaterons qu'il n'y a plus rien à tirer d'EELV d'un point de vue politique et nous nous réjouirons de tirer un trait sur les tribulations de cette diarrhée politicienne pas si durable.

La prochaine fois, ça sera plus intéressant et je vous parlerai de la Grèce, du socialisme ou de la barbarie qui nous attendent.

mardi 8 mai 2012

C'est arrivé près de chez vous

Quelque part dans le cimetière d'un petit village andalou, un vieil homme, les yeux embués de larmes, observe une sépulture sans nom et sans fleurs. Scène tristement anodine. 
A première vue.
Cet homme raconte à qui veut bien l'entendre que son bébé est mort, en 1987, à la maternité. Et que malgré leur détresse, sa femme et lui n'ont jamais pu voir le corps de leur enfant. Expédié à la fosse commune directement, selon la sage-femme. Blessure aussi cruelle qu'irréparable. Et aujourd'hui, alors qu'il voulait récupérer les ossements, il a trouvé une tombe vide.


Cette scène se passe chez nos voisins espagnols, donc. Ce pays qui nous est si familier. Ce pays dont on connait plus ou moins l'histoire, notamment Franco. 


Quel est le rapport entre Franco et le vieil homme au cimetière me direz-vous? Il y en a pourtant bien un. 


Et lorsque les langues se délient, nombreux sont ceux qui, parfois 30 ou 40 ans après avoir été traités de fous, après avoir été fermement invités à se taire, alors ramenés à leur condition de miséreux sans instruction, finissent par retrouver un peu de courage pour partager leur tragique expérience. 
Oui, effectivement, la mère de Carmen, à Girona, se souvient avoir donné naissance à une petite fille en pleine forme; pourtant on lui a annoncé que son enfant était décédée. Mais à cette époque, on ne faisait pas trop de bruit et l'on enfouissait sa douleur au plus profond de son être, quitte à en mourir de chagrin.
A Bilbao, Pilar regrette toujours autant de n'avoir pas pu voir la dépouille de son fils. On lui a amené un cercueil fortement scellé; elle n'a pas eu le droit de l'ouvrir. L’hôpital aurait réglé les frais d'inhumation afin de leur éviter cette peine.


Et que penser de cet homme qui apprend, alors que son père est mourant, qu'il ne peut être son donneur car il n'est pas son fils biologique?


Et c'est ainsi que de fil en aiguille, de ville en ville, la parole revient, et avec elle la mémoire. Les détails occultés se font soudain prépondérants, cruciaux. Peu à peu, des gymnases et salles de fêtes s'emplissent de personnes endeuillées, qui relatent avec une étrange similitude leurs douloureuses expériences.


Alors pourquoi cette convergence de récits à travers le pays, a priori isolés et naturels? Maintenant nous savons.


Aux prémices de la dictature franquiste, lors de la défaite républicaine de 1939, l’enlèvement de bébés était un outil de répression, mais surtout un moyen redoutablement efficace qui avait été imaginé pour épurer la race espagnole qui, selon Antonio Vallejo-Nájera, alors psychiatre militaire au service de Franco, était menacé de dégénérescence. 
Après la victoire des franquistes, il a fallu séparer les prisonnières républicaines de leurs enfants. Et ce, pour éviter la transmission du "gène marxiste". La machine était bien huilée et ces actes monstrueux, vite théorisés par le Dr Vallejo-Najera. 
Et lorsque les enfants des prisonnières ont commencé à manquer, les bons soldats du régime se sont rendus dans les maternités où accouchaient des épouses de prisonniers ou d’ex-prisonnières politiques pour leur retirer leurs nouveaux-nés dans le plus grand secret. On les adoptait illégalement, sous couvert de stratagèmes administratifs et religieux. On évitait ainsi que se propage la "vermine rouge". 
Les républicains et anarchistes étaient dépossédés de leurs enfants, sans le savoir, puis ces derniers étaient confiés à d'honorables familles franquistes, voire à des orphelinats. Cela a aussi été étendu aux enfants plus âgés.
Confier n'est cependant et objectivement pas le terme le mieux choisi puisqu'un témoin rapporte que ses parents lui ont avoués l'avoir acheté l'équivalent de 1200 euros à un curé de Saragosse. 


Ces faits sont déjà suffisamment accablants en soi, mais hélas l'histoire ne s'est pas arrêtée là.


Après la chute de Franco, cet odieux trafic a continué, de la même façon, et là encore, couvert par l'administration, qui étaient pourtant censée faire peau neuve et place nette. 
Ainsi un décret de 1963 stipule que pour légaliser une naissance, on ne demandait que deux témoins et un certificat de baptême. Et c'est ainsi que sous un gouvernement en apparence nettoyé de ses démons les plus redoutables, les enlèvements ont continué, comme un banal négoce, au détriment de familles qui n’avaient ni les moyens, ni les capacités de s’attaquer à un système qui leur semblait obscur et tout-puissant. 
Ces actes inhumains et semblant tout droit sortis d'un autre temps ont perduré jusqu'aux années 90. Presque hier.


Il a fallu attendre 2008 et le juge Baltasar Garzón, pour qu'il soit enfin fait mention des bébés volés comme instrument de répression du franquisme, puis de rapts qui auraient persisté, hors de toute volonté politique, comme un simple commerce, grâce à des complicités multiples et haut-placées.
L’Espagne découvre aujourd'hui qu’au moins 250 000, voire 300 000 de ces bébés pourraient avoir été volés et adoptés illégalement. 


"Il y avait clairement une mafia d’avocats, médecins, sages-femmes et intermédiaires qui se chargeaient de trouver des couples à la recherche d’un enfant", soutient Me Vila Torres qui est en charge de ce dossier. 
La récente médiatisation a contribué à faire sortir cette histoire de l'ombre (avec plus de succès que les rares journaux espagnols qui s'y étaient cassé les dents dans les années 80) et à faire avancer l’enquête. 
Nombreux sont les Espagnols qui s’interrogent à présent sur leur réels liens de parentés. Les tests ADN se multiplient cependant que de plus en plus de femmes s’interrogent sur leur enfant décédé à l’accouchement. 
Pour certains juristes, la possibilité qu’on soit devant un crime contre l’humanité n’est pas à écarter. 
C'est abominable, c'était hier et c'est arrivé près de chez vous.

    image LDDM

Sources et références: 


* L'effet papillon, documentaire diffusé le dimanche 02 mai en clair sur Canal+: http://www.capatv.com/?p=16471
* La Dépêche du Midi: http://www.ladepeche.fr/article/2012/01/27/1271198-les-milliers-d-enfants-voles-du-franquisme-indignent-l-espagne.html






mardi 1 mai 2012

#jeneveuxpaspayer


Premier mai tranquiloux (petite pointe inavouable de déception) à Barcelone.  Grosse manif syndicale le matin, la plus grosse depuis des siècles, à laquelle je n'ai évidemment pas participé, hors de question de cautionner les actions politiques organisées les matins de jours fériés. Déjà que mon décuvage de cuite a été désagréablement interrompu par le bruit des hélicos patrouillant, bruit qui commence à devenir oh combien familier...

Manif alternative anticapitaliste le soir, indignés, anarchistes tout ça, qui a quand même réussi à réunir plusieurs dizaine de milliers de personnes, malgré l'absence de support institutionnel et un tract indigeste qui semblait sorti d'un triste bureau de Lutte Ouvrière plus que d'un mouvement qui s'était justement singularisé par une com très dynamique et originale.

Pas de débordements, avec un dispositif policier écrasant, dont une petite centaine déguisés en casseurs, brassard de police au bras avant de se mêler à la foule.

Rien, donc, digne d'être signalé du côté des mouvements de foule. Le détail croustillant de la journée était plutôt dans la révolte des usagers d'autoroutes en Catalogne, qui ont profité d'une journée sensible niveau circulation (retour d'un long week end) pour foutre le bordel dans les autoroutes. En gros, deux protestations se superposent. La première est nationaliste. La Catalogne est l'une des rares communautés autonomes à avoir des autoroutes payantes (et très chères), les autres ayant été financées par vous, gentils européens. Du coup, c'est à qui tire le plus fort sur les méchants espagnols qui nous pompent notre fric pour pouvoir rouler gratos! Mais évidemment ce n'est pas si simple. Ce n'est pas les espagnols qui nous pompent le fric mais Abertis, une des plus grosses entreprises catalanes (assez grosse pour gérer 50% des autoroutes françaises), intimement liée à La Caixa et à la Droite nationaliste catalane, qui leur avait confié la gestion des autoroutes dès leur arrivée au pouvoir en 79, autoroutes très employées et donc largement amorties depuis.

Bref, peu importe les raisons, le fait est qu'on a découvert qu'on peut légalement refuser de payer un péage et exiger qu'on lève la barrière. Avec les bouchons de circulation que ce genre d'action peut entraîner. Et comme l'Espagne est dans une situation de perte de confiance totale dans l'Etat de Droit (si les puissants nous volent, pourquoi on va se priver nous??), les gens se sont naturellement engouffrés, coordonnés et conseillés sur le plan légal sur internet.  En quelques jours le hashtag #novullpagar est devenu Trending Topic sur Twitter, Abertis a perdu 15 % en bourse, ils ont commencé a passer des coups de fil, le gouvernement catalan est passé de la "compréhension face à la revolte" aux menaces de poursuites, le hashtag a été censuré sur Twitter Espagne, mais il est devenu Trending topic mondial (bein fait pour eux!), et aujourd'hui Abertis  admettait 3000 incidences, probablement bien plus en réalité, tout ça avec un quasi silence exemplaire de la presse larbine. 

Pendant ce temps, à Madrid, pour protester contre la montée des tarifs dans les transports en commun, toutes les semaines des activistes s'organisent pour tirer simultanément sur l'arrêt d'urgence dans plusieurs rames de métro. 

Ah, la beauté du chaos...