Les dés étaient
jetés. Les derniers sondages coïncidaient. Les experts pontifiaient à la télé.
Les enjeux des élections de ce Dimanche au parlement catalan étaient clairs :
savoir si la droite nationaliste catalane d’Artur Mas aurait oui ou non la
majorité absolue « exceptionnelle » qu’elle réclamait et savoir qui d’entre
les socialistes, la gauche indépendantiste et le Parti populaire occuperait la
deuxième place. Bandant quoi.
Après un sondage
particulièrement généreux avec le parti du Très Honorable Président Mas (sic),
qui le donnait à 45 %, je jette l’éponge, je maudis l’humanité et j’appelle mes
amis pour organiser une grosse teuf à la maison la veille des élections.
Objectif avoué, avoir une telle gueule de bois le lendemain que tout nous
paraîtrait distant et sans conséquence. Objectif atteint. Certes, je ne suis
toujours pas allé voter en rentrant d’after. La dernière fois, il y a tout
juste un an, un reste de sentiment de blasphème m’avait arrêté à la porte du
bureau de vote, craignant qu’avec mon haleine alcoolisée je n’attire les
foudres du Dieu Démocratie. Cette fois, je suis décédé sur mon lit une petite
heure avant l’ouverture. Mais peu importe, la violence de la note que les
voisins ont accroché à notre porte le lendemain atteste que ce fût un énorme
succès. Et j’ai un vague souvenir d’un groupe de personnes tentant de récupérer,
sans y parvenir vu leur état, un portable qui était resté coincé dans la
cuvette des WC.
Le lendemain, mon
mal de crâne et le nettoyage de la maison occupent mon esprit presque
entièrement, je ne fais donc que peu de cas des chiffres de la participation,
qui annoncent une mobilisation record de 10 point supérieure à celle de 2010.
Quelques rumeurs sur twitter commencent à parler de baffe électorale, mais je n’ai
vraiment pas la tête à ça. Plus par inertie que par conviction, j’allume la télé
vers 20 h 05, me sentant vaguement coupable de ne pas m’y intéresser davantage.
Et là je reste
scotché.
Premier sondage à
la sortie des bureaux, la droite nationaliste à 55 députés au lieu des 65 qu’ils
attendaient, loin des 68 qui offre la majorité absolue. Premier tour de table,
premières têtes hallucinées parmi les porte-paroles des différents partis.
Le scrutin
commence, elle tombe à 47 députés. Les journalistes ont beau répéter qu’il s’agit
de résultats très partiels, ça ne semble pas vouloir décoller au fur et à
mesure que la nuit avance.
Onze heures du
soir, Artur Mas sort au balcon de l’hôtel Majestic, avec le gouvernement
sortant, leurs mines défaites, dans une image qui restera aussi célèbre ici que
Jospin en 2002.
Bref, jamais dans
les vingt dernières années les instituts de sondages ne s’étaient autant plantés.
Artur Mas devait récolter entre 40 et 45 % des suffrages. Il en récoltera
finalement 30 %, leur pire score depuis 1980. Alors évidement, j’exulte car l’erreur
va dans mon sens. Mais le ratage absolu des démoscopies est une bonne nouvelle
pour la démocratie, et laissera des traces durables. Les élections les plus polarisées de l’histoire de la Catalogne,
avec des enjeux dépassant largement le gouvernement des 4 prochaines années,
ont débouché paradoxalement sur le parlement le plus atomisé et le plus
ingouvernable. L’avenir est incertain. Mais au moins, la parole du peuple n’est
plus confisquée à l'avance par ces connards d’experts.