On causait ici même du rôle rhétorique fort particulier que tient l'évocation des "années 30" dans le discours public.
Objet discursif battu et rebattu, lieu commun du propos politico-médiatique oscillant entre la verve pamphlétaire sordide d'un Philippe Val et le réflexe conditionné de tout politicien en mal de déclaration forte, il est en vérité une mécanique totalitaire et terroriste du langage, un marqueur moral définitif et absolu, du moins en porte-t-il l'ambition performative. En cela, notons qu'il est encore en deçà de son cousin "antisémitisme", bien plus efficient, auquel il est d'ailleurs inconsciemment associé, et dont l'usage social a été monopolisé et systématisé par les intérêts bien compris de ceux qui s'y adonnent avec une obstination partisane enragée.
En prétendant enfermer l'Histoire dans un cycle de répétitions, le réflexe "années 30" énonce non seulement une stupidité qui n'est plus à démontrer mais crée, en quelque sorte, les conditions d'une prophétie auto-réalisastrice. Car, ce qui compte, implicitement dans "les années 30" ce ne sont pas ces années là pour elles-mêmes mais bien pour celles qui suivent dont elles forment la matrice. Crise-montée du nazisme-aveuglement des démocraties-guerre mondiale - extermination -millions de morts. En réduisant une période à un système de causalité quasi-mécanique, l'énonciation est téléologique. Elle lit le passé au prisme de la suite.
Notons au passage qu'elle comporte une lourde dose de facteurs anxiogènes, ce qui en fait toute sa force. En effet, si l'on préfère insister sur les causalités que sur le résultat qui pourrait être, en première analyse, plus efficiente, c'est parce que le tabou, l'implicite et le refoulé qui entourent la décennie suivante, en entretenant une sacralité intouchable et inviolable rendent le système causal antérieur plus angoissant encore. Dès lors, outre qu'elle place celui qui énonce la définitive sentence dans la position morale valorisante du "résistant dès 1933" ( ce qui en dit d'ailleurs long sur la culpabilité collective entretenue et cultivée par les sociétés européennes et sur les canons de la gloire et de la vertu politique que celles-ci ont pour référence ultime), elles constituent dans une certaine mesure une dépossession en éliminant ou réduisant d'office ce qui, dans cette période, eût pu transformer l'avenir, infléchir le sens de l'Histoire, dessiner des chemins et des voies de conséquences tout autre. En bref, elle est une négation de la politique comme possibilité de changement, comme fabrication d'horizons utopiques et émancipateurs.
Proclamer le retour des "années 30" c'est ( inconsciemment peut-on supposer dans la plupart des cas...) tester des réflexes mémoriels chez l'auditoire, convoquer une imagerie commune et travaillée dont l'élaboration relève pourtant d'un choix arbitraire et, ce faisant, refuser, par ignorance, bêtise, calcul ou indifférence, aux perdants du passé la reconnaissance et la légitimité de leurs ambitions et de leurs possibilités politiques. En rejouant sans cesse les catégories morales de l'autrefois officiel, non seulement on appauvrit le passé mais en plus on détermine le présent. De là à dire que l'utopie politique est un langage inutile, que la solution consiste à laisser cette prérogative à ceux qui ont les compétences pour bâtir les cadres du futur et qu'il serait dangereux de s'écarter de la voie tracée parce qu'elle nous ramènerait à des parfums que nous ne voudrions surtout pas connaître à nouveau, il n'y a qu'un pas...
Et si la fin de l'Histoire c'était précisément d'être prisonnier de sa pesanteur ?
7 commentaires:
"En bref, elle est une négation de la politique comme possibilité de changement, comme fabrication d'horizons utopiques et émancipateurs."
On sait où nous a conduit le Front Populaire Môsieur, hein... Il faudrait donner les subtilités de la référence aux années 30 entre gauche et droite. Comme au lycée, il y a un tronc commun et des options.
C'est vrai, j'y pensais en l'écrivant, tout ça reste assez flou, il y a référence commune, référence de gauche et de droite...mais ça n'empêche pas que ce qui compte c'est la charge des années 40 qui suivent.
Comme tu le dis, les deux périodes en sont venues à s'équivaloir et ça c'est la faute aux historiens et aux cours débiles sur le modèle: la seconde guerre mondiales causes-description-conséquences... Donc en gros les années30-les années 40-les années 50
Attentionq uand même, la tendance actuelle des programmes d'histoire c'est justement de briser toute évolution historique et les chaines de causalités chronologiques, le travers inverse c'est de faire de l'histoire concept complètement déréalisée et coupée de tout réel.
L'enjeu c'est plutôt le choix des causalités et l'insistance sur les à-côtés de l'histoire officielle, les niches de possibilités non advenues.
Ceux qui utilisent la référence des années 30 sont ceux qui ont eu des cours causes lointaines-causes proches-desription-bilan-conséquences... Ce qui induit forcément une vision biaisée parce que trop chronologique et parce ce que téléologique, in fine. La complexité veut, la complexité exige, la complexité demande... plus de doigté.
La complexité exige d'envisager le maximum de champs possibles pour une situation historique donnée, sans omettre toutefois d'établir des hiérarchies causales, du moins le plus honnêtement possible.
http://fafwatch.noblogs.org/
Facebook, tombeau de la race. Nom de Zeus que c'est ouf de dingue. Nanmésandéconé
Enregistrer un commentaire