Mardi matin, rendez-vous
chez l’orthophoniste à l’hôpital de Sant Pau, dans ses installations ultra
neuves, clinquantes, lumineuses, architecte star, Espagne pré-crise, désormais
inondées par d’énormes banderoles dans le grand hall d’entrée, hôpital en lutte, calendrier des mobilisations, ministre
démission, etc. On commence par réviser les règles d’hygiène de la voix. « Tu
es dans un bar, volume sonore élevé, tu cries, tu parles avec tes amis, à tout
hasard, de la crise ». Rire complice. « À tout hasard, de la
crise ».
Dernière semaine
de cours avec les étudiants de Retitulació, une année qu’ils ont inventé après
Bologne pour pouvoir passer de Bac +3 à Bac + 4, et permettre ainsi aux
travailleurs de garder leur statut en crachant un peu d’argent. On se retrouve
autour d’une bière en terrasse, avec des adultes professionnels, habitués aux
conversations policées et consensuelles, et on entame la plus consensuelle des
conversations : il faut guillotiner tous les politiciens et tous les
banquiers.
Vous l’avez
compris : dans l’ascenseur, au marché, dans le taxi, chez le dentiste ou
aux putes, on ne parle plus du temps qu’il fait, on demande comment se porte
aujourd’hui la Prima de Riesgo, c'est-à-dire, le différentiel des taux
d’intérêt de la dette espagnole par rapport à l’allemande. C’est l’omnicrise.
Voilà, avec quelques licences poétiques, à quoi ressemblent les cancans desfemmes de ménage aujourd’hui :
Exagéré ? On
peut trouver trois mil exemples de comment les propos plus ou moins élaborés
sur la crise ont envahi tous les champs d’expression, de la cuisine au foot.
Tenez, Carlos Arguiñano, notre Maïté à nous, chef star et éternel visage de la
télé espagnole. Depuis quelques semaines, il passe ses émissions à découper des
calamars et faire frire des oignons tout en expliquant qu’il faudrait commencer
par émasculer les responsables de ce bordel. Et sous son couteau, c’est les
tripes de nos dirigeants que l’on voit se vider :
Une version plus
élaboré, plus Dibiesque, c’est celle du Comidista, bloggeur gastronomique
archiconnu dans El Pais, qui s’occupe normalement de savoir pourquoi les
croissants espagnols sont si dégueulasses, et qui la semaine dernière nous a
offert une tribune à charge contre le PDG de Mercadona, l’enseigne leader de la
grande distribution espagnole, qui a proposé la Chine comme modèle à suivre
pour que l’Espagne surmonte ses difficultés.
Samedi dernier,
la banque espagnole est au bord de l’abîme, l’opération sauvetage de Bruxelles
est déclenchée. Le site de musique branché Jenesaispop, qui fait la pluie et le
beau temps dans les milieux cool, dresse
un top 10 des chansons pour un sauvetage, qui commence aussi par une tribune à
charge et termine par la chanson Estafa, l’arnaque, qui renvoie évidemment au
cri des indignés, « No es crisis, es estafa ».
Allez, dernier
exemple, la remise du prix « catalan de l’année » (Oui, le nom du
trophée est ridicule), devant les plus hauts responsables politiques catalans,
dont le Molt Honorable President Mas (sic). Cette année, c’était pour le
commentateur sportif Josep Maria Puyal. Son discours, à réminiscences presque
gaullistes ou churchiliennes, directement adressé à Mas, en a fait pleurer plus
d’un devant sa télé.
L’omnicrise je
vous dit.
1 commentaire:
C'est comme avec le débat sur le TCE. Tout le monde en parle et surtout tout le monde en parle comme les ménagères de manière informée et précise et c'est ça qui est nouveau. Le drame eût été qu'on en parlât comme de la météo, sur le mode fataliste. C'est bien que les gens aient quand même en vue quelques responsables et surtout un peu de rage au ventre.
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