mardi 4 décembre 2012

LA CATALOGNE EXPLIQUÉE AUX FRANÇAIS

L’exercice que je vais vous demander de faire est, je le crains, difficile pour des français. Des français qui, de plus, êtes pour beaucoup des profs de l’indivisible Education Nationale. Des français qui êtes le fruit d’une autre histoire, d’autres guerres et d’autres révolutions, qui vous mènent à bouffer du foie de canard malade. Mais moi,  courageux bouffeur de chorizo, je vais m’aventurer à défier les piliers de votre psyché collective.


Premier exercice, tentez d’imaginer que le catalan obligatoire pour tous à l’école, que l’enseignement prioritairement en catalan, est ce que vous appelez une mesure d’égalité républicaine. Partons d’une donnée sociolingüistique simple. En Catalogne, les riches parlent catalan, les pauvres espagnol. Quelqu’un qui n’aurait pas appris le catalan à l’école, serait condamné à vie à porter tatoué sur le front, à chaque entretien d’embauche, « Je suis un banlieusard plouc sans culture ». On connait déjà l’éventail de stratégies de domination culturelle développées par la bourgeoisie pour freiner l’ascenseur social. Ne rajoutons pas la langue, s’il vous plaît. Je ne compte pas le nombre de personnes de mon entourage, fils d’immigrants andalous, qui, comme vous, Mohamed, Jérôme, Damien, Azzedine, sont devenus profs ou ingénieurs et sont  sortis de la banlieue barcelonaise parce qu’on leur a donné les armes à l’école. Et parmi ces armes, la première c’est le catalan. Voulant en savoir plus, je leur ai demandé si, comme le raconte à longueur de journée la presse à Madrid, à grand renfort d’experts et de pédopsychologues, ils étaient traumatisés à vie qu’on les oblige à parler une langue qui n’était pas celle de leur parents. Je vous laisse deviner la réponse.


Deuxième exercice, tentez d’imaginer aussi que le catalan obligatoire pour tous à l’école, que l’enseignement prioritairement en catalan, n’est pas un facteur de crispation et de division, mais au contraire, la seule garantie de paix sociale. Parce qu’en se regardant dans plusieurs miroirs, on a décidé ne pas devenir comme le Pays Basque, l’Irlande du Nord, la Belgique ou le Quebec, pays qui pratiquent cette putain de liberté de choix à l’école. Le débat a été tranché en 1978. On ne veut pas deux communautés. On ne veut pas de catalanophones et d’hispanophones, allant dans des écoles communautaires, vivant dans des quartiers communautaires, mangeant de la bouffe communautaire et baisant dans des bordels communautaires. Donc catalan pour tous. Basta.


Or ce modèle éducatif qui nous a apporté paix et prospérité pendant trente ans, et qui fait l’objet d’un large consensus en Catalogne, est régulièrement la cible de tentatives de déstabilisation de la part de Madrid. A l’origine, un manifeste de l’Académie Espagnole expliquant que le castillan était en danger. Venant de la deuxième langue la plus parlée au monde, ça frôle l’insulte. Ensuite, une campagne de presse quasi quotidienne, « le drame de l’immersion linguistique en Catalogne » (sic), avec moultes récits d’enfants traumatisés. Dernier acte, la loi de réforme de l’éducation, la bombe lâchée hier par le ministre Wert.


Cette loi, c’est la réponse de Madrid aux deux millions de personnes défilant le 11 septembre dernier dans les rues de Barcelone pour l’indépendance.  C’est leur réponse aux élections de dimanche dernier. Pendant que le reste de la planète s’inquiétait, la presse à Madrid, dans un exercice de dénégation proche du délire névrotique, n’a su voir (ou n’a voulu voir) dans les résultats que le camouflet infligé au Président Mas, qui d’après eux, sonne le glas du projet de référendum d’indépendance. Peu importe que dans l’ensemble, les forces séparatistes progressent. Peu importe que des force plutôt neutres auparavant, comme les socialistes ou les verts, basculent petit à petit dans le camp du Oui à l’indépendance.  Ils ne comprendront jamais.


La réponse du ministre Wert, le coup de baguette magique qui résoudra la question catalane, c’est dynamiter le système éducatif catalan. C’est rendre le catalan optionnel à l’école, avec un statut inférieur à l’anglais et à la LV2. C’est obliger les communes qui ne peuvent pas assurer un enseignement en castillan aux enfants, à leur payer l’école privée.


Ce n’est même plus une provocation, c’est une déclaration de guerre. J’en ai marre d’être pédagogue. J’en ai marre de leur expliquer, gentiment, que non, on ne parle pas catalan juste pour les faire chier. Non, on ne demande pas des infrastructures dignes de la sixième ville européenne juste pour les faire chier (un aéroport international et faire arriver avant le TGV à Barcelone qu’à Calahorra de arriba serait une bonne idée). Non, notre seul but quand on se lève le matin ce n’est pas de faire chier. Je suis fatigué de m’auto-convaincre qu’une autre Espagne est possible, fédérale, solidaire, et fière de sa diversité culturelle. L’heure de la pédagogie est finie. Il y a des lignes rouges qu’on ne croise pas. Chaque fois qu’un politicien à Madrid ouvre la bouche, dix indépendantistes catalans naissent. Et aujourd’hui c’est moi qui, pour la première fois, crie ce mot : INDÉPENDANCE.  

3 commentaires:

Le rageux a dit…

Comme souvent Ataru tout ceci est fort bien expliqué et en plus, ce coup ci il y a cette pulsion supplémentaire qui en dit peut être un peu sur l'état de radicalisation de l'opinion espagnole.

Ce n'est pas parce que je pense avoir fait du progrès vers la compréhension des phénomènes fédéraux depuis une époque plus ancienne mais je pense être tout à fait capable de comprendre la "catalanité" et ses implications linguistiques. Disons que ta démonstration achève de me convaincre.
J'irai même plus loin en disant qu'un Français est peut être mieux placé pour comprendre un catalan que mettons...un canadien. Précisément parce que l'un sera, comme tu le dis, différencialiste, quand l'autre sera "universaliste" (même si cette pulsion là aussi peut renfermer une certaine dose de "violence"...mais toute obligation à la vie sociale renferme de la violence symbolique).
Sans doute est-ce le prisme latin qui travaille les deux voisins; la culture du droit qui égalise et permet la vie commune plus que le droit produit du consensus social préalable à "l'anglo-saxonne". Mais en fait la France n'a pas procédé autrement avec l'apprentissage du français. Même si cela a sans doute été bien plus violent par endroit et bien plus traumatisant pour certains. Encore que...là aussi il faut aller voir qui sont ceux qui se lamentent encore sur les violences de l'éducation républicaine (qui en plus ne faisait qu'accompagner un mouvement plus général et plus ancien). On trouverait peut être de tout, mais pas mal de nazillons aussi...Dans le contexte là aussi l'enseignement du français c'était une volonté égalitaire et intégratrice. Il y avait pour les républicains un pays à gagner, une société à construire, un lien social à tisser.
Le problème de la France n'est pas tant l'obligation du français que sa difficulté, voire son impossibilité, à comprendre et à admettre que les identités sont plurielles et qu'on pouvait sans doute envisager de maintenir vivace une culture bretonne ou languedocienne sans compromettre la généralisation égalitaire du français. Disons à al décharge des premiers républicains que les différencialistes de l'époque étaient aussi des réactionnaires.

Bon après évidemment, on peut discuter des formes, des résultats, des moyens...., on peut critiquer l'école de la république qui négligea le caractère collectif de l'éducation populaire pour se focaliser sur une méritocratie somme toute limitée, on peut aussi arrêter d'halluciner sur les délires sur la "colonisation" intérieure qu'auraient subis certains territoires car ce sont des insultes pour les peuples victimes des véritables colonisations de l'époque.
On peut se dire que la république française aurait quand même pu péter un coup parfois.
On peut aussi se rappeler que derrière les discours, en pratique les langues locales se sont maintenues et que ce qui les a bouffé c'est peut être plus l'industrialisation et l'urbanisation que l'école en elle-même.

Tout ça pour dire que le cas catalan me parle, peut être parce qu'au bout du compte, la Catalogne en fin de compte c'est bien plus comme la France que comme le Québec.

Ataru a dit…

Qu'il soit clair que ce que j'écris sur la Catalogne espagnole, ne vaut pas pour la Catalogne française. Je commence justement par dire autre histoire, autres guerres... Le problème c'est lire systématiquement les conflits de pays voisins à la lumière de ses propres conflits.

Ensuite, effectivement, les latins on a un peut-être un problème avec, ou on ne sacralise pas autant que les anglo-saxons les libertés individuelles. Et parmi celles-ci, la liberté de choisir l'éducation, c'est juste NIET. Par dessus mon cadavre

Le rageux a dit…

Oui, mais je pensais pas à la Catalogne française en fait. Dans mon esprit c'était plus l'occitan, le breton...les alsaciens même si c'est encore différent.
D'ailleurs les catalans français...déjà faudrait qu'ils l'apprennent un peu davantage le catalan et que ça soit pas que les gitans qui le parlent. Du reste, c'est pas eux que je vois les plus vindicatifs (mais je connais mal). Sorti des courses au Perthus et du rugby...

Sur le truc des anglo-saxons. C'est assez classique la différence avec les latins mais ça doit quand même être vrai.
Ne pas oublier tout de même qu'il existe une tradition dite "républicaine" minoritaire mais qui est repérable en permanence dans le temps depuis le XVIe siècle en Angleterre. Elle se fait bouffer par la philosophie libérale à partir de Hobbes mais elle existe, du moins a existé...et n'est pas d'ailleurs pour rien dans le jacobinisme anglais des années 1790.
Je simplifie mais c'est l'idée.

Les libéraux sont des gros bâtards.