La fin de la suite.
Anéantissements. Tout ça va mal finir. Vous vous en doutez. Cette violence déchaînée n'est pas bonne. Ce sulfureux parfum que vous sentez, c'est celui des années 30, qu'on aime à convoquer mécaniquement quand une bonne indignation morale se fait nécessaire dans le débat public. Mais bon, les années 30 hein tout ça, les totalitarismes, la violence accumulée, ces signes avants-coureurs, Espagne, Chine...on sent bien que bon hein..
Alors oui. Rhénanie-Anschluss-Sudètes-Munich (Munich!!!)-Prague-Ribbentrop/Molotov toussa quoi...et puis boum le fatal 1er septembre (mais qu'auriez-vous fait d'ailleurs vous pour le 1er septembre hein ? Je voudrais bien vous y voir! Car je vais vous le dire: vous respiriez un parfum dont l'odeur vous a tant entêté que vous n'avez pas vu, ni rien plus senti d'autre! Non monsieur!)
Donc guerre mondiale, version 2. Un mot pour tout expliquer, parce que faut pas déconner, l'histoire avance, on est déjà à 11 septembre +10 ans passés, donc vous allez m'expédier ce truc en 5 heures et vous enchainez sur guerre froide et décolonisation en 4. Ce sera la guerre d'anéantissement. Voilà.
J'exagère un peu sur le timing. J'exagère car quand même, la 2e guerre mondiale c'est un peu l'acmée de tout ce qui précède. Donc faut que ça vibre et que ça bande d'Arès d'urgence. Jouissance finale du violentophile. Extase suprême. Priapisme sextenal obligatoire pour l'expert en brutalisation. Explosion tout azimuts des cadres moraux. Déchainement sans précédents d'une terrifique logique génocidaire, exterminatrice, implacable et industrielle. Industries de la mort. Masses bouleversées. Multitudes saccagées. Souffrances infinies. Destruction totale de la solution. Outrance de la ruine. Catastrophe générale. Apocalypse s'intitula un documentaire, très contesté, récent. Absolu du Mal. Lutte du Bien. Paroxysme de la Morale. Les superlatifs viennent à me manquer.
Qui a dit que l'Histoire c'était la pondération, la modération, la mise à distance ? Non l'Histoire dans cette optique, c'est aussi l'édification morale par la maïeutique de la fascination, la pédagogie du choc. C'est la force de l'impact sur les esprits par tous les moyens didactiques possibles. S'il ne doit rester qu'une chose ce doit être ça.
Au passage, la série documentaire Apocalypse, que la communauté des spécialistes a regardé avec beaucoup de circonspection et un oeil très critique quant à un contenu qui dépasse souvent les bornes de l'honnêteté intellectuelle et même de la correction historique. Et bien cette série nous fût chaudement recommandée. Puisons-y à outrance, car l'outrance sera la règle. Et tiens, Stalingrad, ou la guerre du Pacifique. Prenons le plus ardu. Ni pourquoi, ni comment. Juste la sanguinaire, la boueuse, la fiévreuse, la sordide et fascinante tuerie et toutes ses implications. Sans oublier évidemment le paroxysme exterminateur de la Solution Finale. Le spectacle de la Mort à sa sublime apogée.
L'Allemagne exploitant et affamant l'Europe, la Résistance, la vie quotidienne...tout cela est mis entre parenthèses dans le nouveau programme. Pas qu'il soit interdit d'en parler. Mais on a dû penser que c'était accessoire dans le théâtre de la grande tuerie. Ou alors on replacera tout ça vite fait dans le cours sur les évolutions politiques de la France qui viendra plus tard. Partez forts et arrivez puissants : Hiroshima et Nagasaki, quand même! Quel pied!
Entendons nous bien, il n'est pas question pour moi de nier le caractère violent de la 2e guerre mondiale. Ni même de contester l'importance qu'on lui accorde dans les programmes scolaires. Ceux qui me connaissent auraient raison d'ailleurs de me rappeler mes propres fascinations pour la geste guerrière du XXe siècle et les allusions de tout type qu'elles occasionnent dans mes propos et ma pensée. Il y a là sans doute un trait générationnel dont on pourrait interroger les implications mémorielles, comme ce fût le cas pour ceux qui, il y a quelques années furent obnubilés par la guerre des tranchées. Professionnellement, je suis d'ailleurs le premier à user de l'impact des chiffres (60 millions, vous vous rendez compte!), de la comptabilité morbide, de la puissante efficacité d'une division blindée, de la capacité délirante d'une vague de 1000 bombardiers sur une ville, des images des camps ou des photos de Dresde en ruine. Mais, j'ose l’espérer du moins, j'essaye toujours de trouver quelques explications, de susciter une mise à distance, sans quoi le cours d'Histoire n'est au mieux que la pâle copie d'un documentaire ou d'un jeu vidéo à la mode qui en dit d'ailleurs bien plus long sur l'arsenal du Waffen SS que n'importe quelle revue spécialisée ( pensez à tous ces passionnées du dimanche qui écumaient les bouquinistes pour retrouver des vieux numéros de Signal, la revue de propagande de la Wehrmacht et qui moururent avant de pouvoir cliquer Panzer IV Das Reich sur google). Mais je n'oublie pas non plus que dans ce chaos, l'important est de conserver les repères moraux assez établis encore (du moins jusqu'à ce que les épigones modernes de Brasillach ne nous promettent une nouvelle mouture du programme de 3e) qui marquèrent l'époque, sans pour autant angéliser le tout de l'auréole un peu trop fastoche de la Croisade du Bien. Equilibre.
Sachez que la 2e guerre mondiale est déjà "LE" cours de l'année de 3e. Attendu avec impatience par les élèves, il est en général long car on prend du temps. On en ressort usé. Véritablement. Avec un besoin d'expédier les conclusions et les bilans et de passer à la suite (d'autant que vous êtes à la bourre et qu'il vous reste plus de la moitié du programme à traiter), ne serait-ce que pour se reposer l'esprit.
Pas que la suite soit moins complexe, moins ardue, mais la violence y est plus diluée, du moins le conçoit-on ainsi, et ce serait sans doute à débattre longuement. Le reste a comme un air d'ordre, de normalité et d'équilibre après le chaos : guerre froide, décolonisation...équilibre et ordre des choses, processus inexorables. D'ailleurs il est significatif que dans la nouvelle mouture, après avoir théorisé et conceptualisé à outrance le programme sur la guerre froide et surtout la décolonisation revient à des pratiques de pondération, de mise à distance et en perspective. La décolonisation, dans ses nuances avec les problèmes du Tiers Monde. Tout d'un coup, ou presque, il n'est plus question de questionner les permanences et les continuités de la violence dans les guerres coloniales ou les stratégies foireuses américaines en Asie, il n'est plus question de s'emballer, de s'extasier avec perversion sur les figures multiples de la violence. Il s'agit de retrouver la raison, une fois purgée et extériorisée cette pulsion du premier XXe siècle qui s'achève en champignon final, l'orgasme de la destruction nucléaire. En l'occurrence, par la suite, nous retrouvons la raison historienne. Il est peut être des victimes plus décentes, plus compatibles que d'autres. Comme si tout cela était complètement à part. Après tout, il s'agit quand même d'Africains et d'Asiatiques. L'Histoire est avant tout un récit qu'une société tient sur elle-même et tous ces choix sont porteurs de sens.
Alors, des implications politiques ? Sans doute de nombreuses : nébuleuse réactionnaire et nostalgique, révisionnisme par trop foireux, opportunisme universitaire et pédagogique, vieux relents de fonds d'égouts mélangés. Y'a-t-il un lobby puissant de va-t-en guerre patentés par exemple ? Pas assumé en tout cas, mais un lobby militaire qui fait des caresses aux membres influents du système éducatif oui en revanche. Les aspects positifs de la colonisation ayant été par trop pointés du doigt, autant montrer plutôt les aspects négatifs de la décolonisation (finalement, c'était mieux quand on y était). Des motivations idéologiques donc ? Oui, très certainement. Mais qu'on ne pense pas à un ordre moral conscient et homogène. Tout cela est plus diffus, dilué mais catalyse tout de même la rencontre de vieux courants réactionnaires, conservateurs avec les principes moteurs de la philosophie politique de l'ultralibéralisme. Mais tout cela est-il si nouveau ?
Plus largement ces tendances sont aussi le reflet d'une société qui cherche dans son passé récent de quoi sublimer son aseptisation de façade, son idéal non-conflictuel et qui s'évertue à prouver qu'elle marche dans le bon sens ; effrayée qu'elle est par l'avenir, elle a besoin de se concocter un passé rassurant du point de vue des ancrages moraux. La complexité des choses lui brouille l'esprit, l'angoisse. Société peut être qui comprend mal pourquoi, prise qu'elle est dans l'exigence absolue que le capitalisme la force à suivre d'une modernité permanente qui se veut "progrès" (tout en niant avec force les caractères sordides et inhumains) et dans une obsession consumériste et individualiste du présent, ses ancêtres, même pas tous morts encore, ont pu vivre, connaître, choisir, subir, fuir, supporter, bref, passer au travers d'une telle époque. Une partie de la réponse est sans doute dans le pas de côté que l'on peut faire pour rappeler nuances, difficultés et entêtantes incompatibilités des faits avec certains cadres, points aveugles et refoulés de la mémoire historique. Dans cette capacité aussi qu'eurent certaines sociétés à secréter des refus et des résistances (dans tous les sens du terme) et à penser leur avenir, même aux plus noirs des moments, même dans la clandestinité, autrement qu'en terme d'extermination, de puissance, de destruction ou de domination impérialiste, par exemple en promettant un avenir, sinon radieux, au moins plus juste à la société pour la paix à venir. Ainsi est-il important d'évoquer le rapport Beveridge de 42 (Grande Bretagne), le programme du CNR de 44 (France)...Peut être enfin trouverons nous, par voie de conséquence, d'autres réponses en nous arrachant à notre obsession de la société à tout prix pacifiée, à tout prix contrôlée et organisée, permettant un rapport au monde présent qui soit moins convenu.
L'Histoire est affaire de choix. Cela nous fut répété, comme si nous ne le savions pas déjà. Force me fût de constater que la droite (autant que ce mot puisse désigner une réalité relativement homogène), essaye pas à pas de faire pencher la balance du discours historique et politique dans son sens, en s'y prenant, comme s'y sont toujours pris les pouvoirs politiques, à la racine: dans les programmes scolaires et particulièrement dans les programmes d'histoire. Condamnation morale de la perspective révolutionnaire, réhabilitation d'une mystique du progrès technique, établissement d'une souveraineté absolue du système capitaliste qui va avec, regard un tantinet complaisant à l'égard du phénomène colonial et fierté du sage Occident plein de raison et de "démocratie", moralisation outrancière de l'enseignement de l'histoire, atténuation de toute dimension politique des conflits du siècle, obsession aussi hasardeuse que malsaine pour les violences du XXe siècle dans un biais spectaculaire et cumulatif plus qu'explicatif dont on n'ose imaginer les finalités philosophiques à l'heure où l'instabilité politique et sociale de l'Europe ne semble plus si éternelle que cela...
Reste à savoir quel sera le résultat de ce travail de sape, cette intromission de grilles de lectures régressives et simplistes qui rencontrent de toute façon, et c'est heureux, des résistances fortes et des pesanteurs pour le coup salutaires. L'écriture et l'enseignement de l'Histoire évolueront encore dans des sens inattendus, reste à voir lesquels.
L'Histoire à l'instar de la sociologie est un sport de combat. Fatigué que je suis de ces longues lignes, je m'en vais laisser la parole à mes petits camarades qui auront des choses plus drôles et plus courtes à vous raconter.
6 commentaires:
Fais-nous rêver: combien de temps à consacrer à chaque thème? Parce que t'as oublié des points du programme et t'as omis aussi la géographie et l'éducation civique... Avec une demi heure pour traiter de la seconde guerre mondiale, ça va être vite vu... Du coup c'est cool d'avoir comme ça des entrées claires hein, ça nous évite de rentrer dans les détails. Première/deuxième/Révolution Russe/Montée des fascismes etc. = la violence. Tout est dit passons à autre chose.
Les temps ne sont plus exprimés en heure mais en "pourcentage de temps consacré à l'histoire"...ce qui est d'un flou révélateur. Mais en gros la 1er GM c'est 4à 5h, sachant que dedans y'ala révolution russe en 1h.
La 2e GM ça doit être 5 ou 6H.
Chaque fois, je fais au moins le double, sinon les gamins 1-comprennent rien 2- se font chier.
L'expression en pourcentage c'est un truc de droite aussi. C'est quand même un grand foutage de gueule... En même temps hein on évalue des compétences, donc pas grave s'ils ne comprennent rien... Tant qu'ils ont les repères chronologiques tout va bien.
Ceci dit nouvelle approche de l'évaluation. Comme ils veulent mettre une patine gauchisto-pédagogique là dessus ils nous recommandent l'évaluation en "formative" plutôt que "somative". Ce qui ne les empêche pas de nous demander de cocher des croix au final.
J'ai réussi à lire jusqu'au bout ^^
c'est si nul que ça de jouer un peu de l'émotion en cours d'histoire, surtout en classe de 3e? Moi je le faisais à la fac, histoire d'incarner un peu une histoire du XIXe bien trop abstraite pour des petits étudiants en DEUG d'espagnol...
Ah attention, je dis pas que jouer de l'émotion c'est nul. J'en joue fréquemment. 3 vidéos de témoignages d'anciens déportés et j'ai 2 filles de la classe qui pleurent. Je conteste pas l'émotion à partir du moment où on essaye aussi de la mettre à distance. Et puis l'émotion est une chose, le spectaculaire morbide non-expliqué en est une autre.
Enregistrer un commentaire