Tout le monde l'a trouvé étrange. Et c'est vrai qu'il était étrange. Pas tant pour son look, son caractère et son positionnement que par les commentaires qu'il ne cessait de faire sur son propre discours, du méta-discours, en somme.
D'autres hommes politiques commentent, aussi, ce qu'ils font et sont souvent invités, par les journalistes, à commenter ce qu'ils ont dit; mais aucun ne le fait sur ce mode-là. Il n'y a que Poutou qui soit dans un auto-dénigrement permanent. "Je sais que ma campagne ne vaut pas un clou". "Je sais que mes idées ne sont partagées par personne et qu'elles font peur à beaucoup et moi-même, d'ailleurs, j'ai quelquefois du mal avec ce que je dis." Et vous pouvez multiplier à l'envi. Alors quoi? Pourquoi voter pour quelqu'un qui ne croit même à ce qu'il énonce? Bien sûr, je suis dans la caricature mais je suis sûr que beaucoup se sont posé cette question.
L'honnêteté, voilà ce que c'est. Un excès d'honnêteté. Et aussi des scrupules à vendre du rêve, à peu de frais. Ce qu'il défendait, il savait que ça n'avait pas de grandes chances d'être appliqué, dans l'immédiat, et il était assez réaliste pour savoir que sa candidature n'avait que peu de chances de recueillir assez de suffrages pour lui ouvrir la voie de l'Elysée... Mais il n'avait pas le droit de le dire.
Un complexe d'infériorité. Et un gros. Comme un gosse qui met ses mains en opposition au moindre mouvement. Il devançait toutes les critiques. Il devançait même celle qui n'existaient pas. Il ne se sentait pas légitime et on manquait pas de le lui rappeler qu'il n'était pas à sa place. Trop pauvre, trop inculte, trop ouvrier. Manque de confiance et d'expérience.
Au delà de ses propres commentaires, il y avait aussi ce sourire permanent. On aurait pu le croire narquois mais il n'était dirigé contre personne. Contre lui-même. Ce n'était pas un sourire formaté, construit et de circonstance mais sourire de gêne, incontrôlé, un sourire de timide et de vaincu.
On avait l'impression que les copains avaient envie de lui faire une farce et l'avaient envoyé là pour se marrer un coup. D'ailleurs il en parlait beaucoup de ses potes pendant les interviews. Une bande de potes qui avaient envie de se marrer. Le message semblait être si vous aussi vous avez envie de vous marrer un coup, votez pour moi. Le premier tour n'est-il pas fait pour ça?
D'ailleurs je suis sûr que beaucoup ont regretté que le représentant du vol yogi ou que la pute du parti du plaisir ne soient pas représentés. Ils se sont à peine consolés avec Cheminade car il a un look et un discours d'énarque. Et même si tout le monde a découvert que c'était une façade et que cette allure de premier de la classe cachait, en fait, un gros déconneur, on est resté sur notre faim.
Au premier tour beaucoup votent pour de faux, en quelque sorte. Vote de témoignage, de protestation, de refus du vote... Un vote adolescent et potache avant de rentrer dans le rang. Le T-shirt du Ché avant le costard cravate et l'attaché-case. Mais chacun garde un oeil inquiet sur le score des favoris, on veut bien déconner mais on ne veut pas oblitérer l'avenir.
D'ailleurs les candidats eux-mêmes semblent connaître les règles du jeu. On fait quelques voix mais pas au point de mettre à mal le deuxième tour. Et malheur à celui par qui la défaite de son camp arriverait. Mélenchon a eu chaud. Imaginez, il est au deuxième tour. C'est mort. Il ne passe pas et Sarkozy est réélu triomphalement. Pire, imaginez qu'il prenne des voix à Hollande et que Le Pen soit au deuxième tour... Sarkozy passe et chacun de crier à la dispersion des voix à gauche au lieu de battre leur coulpe.
Du coup, là, le scénario est parfait. Chacun a joué sa partition et l'ordre cosmique n'a, encore une fois, pas été troublé.
On parle beaucoup de ce phénomène à gauche mais je suis aussi certain que beaucoup votent Le Pen sans espérer la voir gagner et gouverner. Combien sont-ils ceux qui sont réellement convaincus que ce serait un bénéfice pour la France de la voir accéder au pouvoir? Ce qui est sûr en tout cas c'est qu'elle n'est pas comme son père qui faisait du Poutou avant la lettre et qu'elle a envie d'accéder au pouvoir et c'est en cela qu'elle est dangereuse pour la droite classique. Qu'ils fassent gaffe les gros déconneurs qui votent Le Pen sans y prendre garde, juste comme ça, pour essayer ou pour faire chier, juste un peu, sans que ça ait réellement de conséquences. Voter peut nuire à la démocratie, des fois.