Dans le débat, comme dans de nombreux jeux, il y a un joker: quand on veut dramatiser, quand on veut noircir l'adversaire, quand on est à cours d'arguments. Je ne parle pas de la reductio ad Hitlerum qui n'est qu'une variante, je parle de la matrice le retour sempiternel des années 30.
La première fois que je l'ai vu utilisé, c'était par des "intellectuels" attaqués vivement par des journalistes qu'ils trouvaient un peu trop cavaliers à leur égard. Faire appel aux années 30, dans ces cas-là, revenait à ramener ce journalisme un peu véhément aux belles heures de Gringoire, Je suis partout, Le Candide (le maurrassien), l'Action Française etc. De même que Le Pen n'est pas tout à fait Hitler, de même Serge Halimi n'est pas tout à fait Maurras. La reductio ad Maurrassem en vaut bien une autre. Qui aujourd'hui pourrait faire des appels aussi clairs que: « C'est en tant que Juif qu'il faut voir,
concevoir, entendre, combattre et abattre le Blum. Ce dernier verbe
paraîtra un peu fort de café : je me hâte d'ajouter qu'il ne faudra
abattre physiquement Blum que le jour où sa politique nous aura amené la
guerre impie qu'il rêve contre nos compagnons d'armes italiens. Ce
jour-là, il est vrai, il ne faudra pas le manquer. » Oui, hein, vous voyez bien qu'on est un peu loin des années 30 dans le journalisme et encore là c'est du soft. J'aurais pu trouver plus gratiné, si je m'en étais donné la peine (d'ailleurs appel aux bonnes âmes historiennes de ce blog).
Beaucoup ont aussi glosé sur l'irénisme candide des bien-pensants de gauche qui ne prenaient pas au sérieux l'inéluctable progression de la peste verte de l'islamo-fascisme, qui ,pour les plus optimistes, est à nos portes et, pour les plus pessimistes, déjà dans la maison. L'ombre du munichisme planait sur tous les débats et des comités de vigilance auto-proclamés écumaient les plateaux et les tribunes pour mettre en garde contre la guerre qui vient.
Et ensuite il y a eu la crise et pas n'importe quelle crise... Une crise qui, paraît-il, ressemble fort à une certaine crise de 29, avec des préconisations pour la résoudre qui semblent, pour certaines, calquées sur celles de certains gouvernements des années 30. Comparaison n'est pas raison encore une fois mais les droites se durcissent, les affaires politico-financières défraient la chronique, les plans de rigueur s'enchaînent, la défiance envers les élites augmente mais... aucune violence. La rue reste calme et les gens restent sidérés.
Certains nous invitent à regarder plus loin en Europe. Par exemple vers la Grèce. C'est vrai, ils en sont à un stade plus avancé. L'Espagne? Guère plus vaillants et les plans de rigueur qui ne manqueront pas de s'ajouter aux actuels risquent bien de mettre le feu aux poudres. Et toujours le même cocktail de corruptions en tous genres qu'elles soient financières, civiques ou morales (vous récriez pas, c'est une des composantes psychologiques qu'il faut envisager). Les portes du Mordor sont donc sur le point de s’ouvrir de nouveau et de laisser se déferler sur l'Europe les hordes d'orcs, gobelins et autres joyeux représentants de l'Empire du Mal.
Le sens populaire a quelquefois raison: à force de crier au loup. Au milieu de tous ces cris d'orfraie on n'entend pas forcément le bruit sourd de l'Histoire... Ahum, oui bon. Je veux dire qu'il n'est nul besoin de connaître sur le bout des doigts les événements des années 30 pour voir le péril vers lequel nous plongeons gaiement. Les modèles doivent rester ce qu'ils sont. Penser que l'Histoire se répète à l'identique est une connerie. Cela n'empêche pas de craindre la répétitions de schémas historiques dont on connaît les conséquences possibles. Et certains hommes politiques feraient mieux de ne pas jouer avec des allumettes au milieu des tonneaux de poudre qu'ils ont auparavant pris soin d'éventrer. Affamer les peuples, exciter leurs peurs primales, poser les mauvaises questions, pointer du doigt les faux coupables... Le grognement des trolls, vous l'entendez?
2 commentaires:
Mais que c'est bon. J'en tressaillis d'aise.
Je vais donner dans le genre prochainement tiens...
Tu en tressailles. Il en va de tressaillir comme de cueillir.
Et quand tu dis que tu vas donner dans le genre, ça veut dire quoi? Que tu vas traiter tout le monde de fasciste ou que tu vas analyser, en historien, les permanences et les évolutions historiques?
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