mardi 12 juin 2012

La démocratie est morte...(1)

...dimanche soir.

Elle a claqué sans faire trop de bruits. Dans l'indifférence générale, ou presque. Entre Roland-Garros, l'Euro de foot et les derniers bouts de chair que colle quelque malade mental sur les murs.

On me dira que tout ne s'est pas joué ce fatal dimanche 10 juin. On aura raison. On pourra même dire que tout cela était presque programmé, joué d'avance. Que les coups mortels furent nombreux à précéder celui-ci. Qu'il en sera même peut être d'autres qui nous éblouirons ou nous éclabousserons à peine. Peu importe.

L'autre soir, fatale me parut la conclusion.

40% d'abstention pour un scrutin législatif. Un record parait-il. Mais les records d'abstention ne cessent d'être battus depuis 20 ans, alors, ça n'émeut plus personne. A part les hypocrites ; ou ceux qui ont encore à la bouche, pour la forme et presque un sourire cynique en coin, la rhétorique de "l'abstention est un signal que nous envoient les électeurs "dans les fameux "éléments de langage" que des Etats-Major leur distillent.

L'Assemblée Nationale, apprend-t-on depuis le collège, est dépositaire du pouvoir législatif. En l'espèce elle est l'émanation de la souveraineté populaire, ou nationale. Dans une démocratie représentative, modèle qui a eu cours entre la fin du 19e siècle et le 20e siècle en Europe et un peu partout dans le monde, elle est censée être l'incarnation du pouvoir du peuple des citoyens. Vous savez, ce qu'on appelle la démocratie.
Il est vrai que son acception française depuis 1958 était quelque peu spéciale. Un président fort, une Assemblée qui ne saurait être trop indépendante et en tout cas trop remuante comme elle l'aurait été par le passé. Mais depuis 2001 cette spécialité française que d'aucuns en leur temps avait jugé quasi-dictatoriale avait pris un tour des plus pervers. Cela s'est fait dans la plus grande discrétion. Le poison plus que le couteau. Un référendum qui ne devait être que technique, un autre "record" d'abstention cette fois là, un consensus général pour une question piégée. Étiez vous pour réduire le mandat présidentiel à 5 ans ? Oui nous l'étions. Mais étiez-vous pour l'inversion du calendrier ? Hein ? de quoi me parlez vous ? Oui oui, un truc technique. On met l'élection présidentielle avant les législatives, c'est plus pratique hein ? Ah oui, si vous le dites. Et ils le firent. Merci Jospin. Ton inconséquence politique que tu maquillais bien derrière tes traits de sage et incorruptible professeur protestant, nous la payons encore. Nullard. Prétentieux.

On aurait voulu flinguer la représentation nationale qu'on ne s'y serait pas pris autrement. L'élection présidentielle est restée ce moment absurde et stupide où se concentre les attentes politiques des Français si merveilleusement éclairées par des médias libres et pluriels (et parfois gratuits). Quant à la législative, elle n'est désormais que le passage obligé, formel, l'ajustement qui se fait après la grande bataille quand vient l'heure de la lassitude extrême et qu'il faut en finir avec le "temps" politique électoral. Comprenez bien alors que les Français sont usés par tant de semaines de tensions politiques, ils ont besoin de sport à la télé, de vacances et de changement, car il est maintenant, mais pas tout de suite, vous attendrez qu'on retrouve le tube de vaseline à rigueur. L'élection législative qui doit décider ce que le peuple souhaite pour lui n'est plus que la chambre d'enregistrement et de validation du pouvoir du Prince souverain. La démocratie parlementaire est bien morte mais ses blessures ne datent pas d'hier.

Là se greffe l'autre plaie: le mode de scrutin, majoritaire à deux tours qui favorisent les grands partis. Lesquels n'ont, si le Prince est de leur rang, même pas à faire campagne. Juste laisser faire les hérauts de l'évidence et de la "normalité" proclamée en principe d'action, et de la nécessaire application du programme du Chef. Saupoudrons le grand ennui organisé sur la toile de l'éclatement et de la dispersion du débat en de multitudes de particularités locales, de rivalités, d'enjeux d'investiture et de réélections, de circonscriptions et du terrible sort qui attend les "personnalités", notamment ces ministres fraichement nommés sur la base...de rien...de la volonté du Prince et vous obtiendrez cette immense foutage de gueule généralisé dont plus personne n'est dupe, que tout le monde avait déclaré joué d'avance (c'était déjà le cas en 2007). Quand la presse politique se fait people. Quand la confusion la plus totale règne et que tout semble possible pour cette caste de gouvernants. Comme si deux cliques s'entendaient à tour de rôle pour gouverner la France. Voilà bien d'ailleurs qui alimente le "tous les mêmes" auquel on a de plus en plus de mal à opposer des arguments du reste. C'est là que prospère Le Pen. Car ne sont-ils pas tous les mêmes là, à courir après ce qui, non content d'avoir un sens obscur (mais nécessaire) dans le fonctionnement idéel d'une démocratie, à savoir une députation, est peu à peu dépossédé de sa souveraineté et de ses prérogatives.

Voyez la cette carte des circonscriptions. Elle ressemble à s'y méprendre à une carte administrative d'Ancien Régime où se superposaient, s'entrecroisaient des Institutions et des pratiques nouvelles, anciennes, en désuétude dans des découpages alambiqués et absurdes...Rien n'est en plus proche que la carte des circonscriptions, vaste ensemble colorée et hétéroclite dont on se doute bien que la démographie n'est qu'un des paramètres qui président à leur dessin, souvent fort arrangeant pour le ponte local. Image de notre système électoral : des hobereaux, des notables locaux à la conquête d'un fief qui les inscrira dans l'Album de la Cour du Prince.
Voir  le déplorable spectacle des querelles intestines au PS entre Ségolène Royal, ex-compagne du Prince et un concurrent, soutenu par la Première Dame, et on se dit qu'il y aurait décidément bien de vulgaires têtes couronnées à faire encore tomber la prochaine fois.

L’Assemblée Nationale est patiemment devenue le chaînon manquant entre le Conseil Général des Landes et la Chambre des Lords britannique. A pleurer. Vous avez encore envie de voter vous ? Moi plus. Surtout que notez bien qu'on garde quand même que les deux, voire les trois, meilleurs au 2nd tour. Les autres peuvent aller se faire foutre. Pas assez représentatif déclare-t-on. N'auront droit de siéger que ceux qui font allégeance au système monarchique et à l'ordre des choses, c'est à dire ceux qui y ont intérêt, ceux qui voient dans le président le dispensateur des bienfaits et des bénéfices mais aussi une image agrandie renforcée et prolongée d'eux mêmes, petits princes locaux liés par la grâce électorale à leur menu peuple dont ils seraient les avocats parisiens. Le PS et ses affidés recommencent toujours la même histoire, le PS, par manque de courage politique et par inertie systémique autant que par aveuglement, nous emmène ni plus ni moins dans le mur fasciste, lequel établit ses fondations à tel point qu'il joue l'arbitre et le grand manitou à droite et dans l'élection. Le FN, pour ne pas le nommer, qui renoue très tranquillement avec cette effrayante habitude fasciste consistant à dresser des "listes" de personnalités à éliminer...pour l'instant électoralement. Le PS pleurera sans doute quand son tour viendra de prendre le train de l'exil ou du camp, en faisant mine d'oublier qu'il n'a volontairement pas fait de campagne, qu'il ne parle plus de politique depuis des lustres et qu'il n'est que le tremplin d'une foule d'arrivistes en tout genre, tout cela parce que l'abstention l'arrange, et que toute une superposition de notables engoncés dans des pratiques d'un autre âge se doivent d'être élus ou réélus.

La démocratie représentative est morte mais sa conception française était-elle franchement à sauver ? L'idée de représentation en soi n'est-elle pas à refonder complètement en revenant à une définition purement technique du mot : un représentant n'est pas, il représente. Il ne devrait pas avoir d'existence de carrière tant que dure son mandat. Lequel devrait se redéfinir autour de la notion de charge et non pas de carrière. On pourra réfléchir à un autre modèle, les pistes existent...mais pas l'ombre d'un changement institutionnel ne verra le jour parce que le pouvoir reste le pouvoir, parce qu'il en est ainsi , peut être plus qu'ailleurs, en monarchie référendaire.

Pendant ce temps là....à droite...

6 commentaires:

Ataru a dit…

Vu tout ce qu'il y a dire sur la mort de la démocratie (honnêtement, tu crois que c'est vraiment la Ve qui a tué la démocratie?) je m'attends à un feuilleton en plusieurs centaines de livraisons...

Le rageux a dit…

Honnêtement, je crois que la Ve a sa part de responsabilité....

Mais faudrait déjà nous entendre sur le terme de "démocratie". Ce qui susciterait des livraisons supplémentaires.

Après, ça pourrait être une thématique à développer à plusieurs: pourquoi la démocratie est morte.

Après je pensais me concentrer sur l'actualité actuelle...:)

Anonyme a dit…

Ce que veut dire notre éminent collègue c'est qu'ailleurs d'autres formes de "démocraties" existent et que c'est partout le même naufrage. Ai-je vu juste monsieur ataru?

Le rageux a dit…

De toute façon, depuis la Semaine sanglante de mai 1871, la vraie démocratie est morte. :p

Ataru a dit…

exactement bougnat. Il faut peut-être inverser le lien de cause conséquence : le fait que tout le monde s'accomode de la Ve c'est le signe que des forces travaillent en dessous la société. Les institutions travaillent le réel, bien sûr, mais le réel travaille les institutions aussi.

Le rageux a dit…

Je ne l'ai jamais nié, d'ailleurs c'est bien le problème, si la démocratie était arrimée solidement à l'imaginaire et aux pratiques sociales, la Ve aurait sans doute dégagé depuis longtemps.

Mais les Grecs ne disaient pas déjà que la démocratie portait en germe en elle même les conditions de sa propre fin ?