lundi 27 février 2012

Dura lex, sed lex


Samedi soir, 2 heures du matin, je suis en retard pour le concert d’un ami au Razzmatazz. Je cours vers le métro, ouvert toute la nuit, toujours achi-bondé, les jeunes qui partent en boîte, les vieux qui rentrent du resto, et qui bientôt devront trouver un autre moyen de locomotion, le bruit courant que la nouvelle mairie de droite, outre le vélo, a dans le collimateur ce luxequonnepeutplussepermettre, à savoir, le transport nocturne. S’ils n’ont pas de métro, qu’ils prennent le Taxi !

Comme toujours quand je suis en retard, je me rends compte face aux tourniquets que mon titre de transport est épuisé. Hop hop, on court vers le distributeur et là, surprise, juste au-dessus, deux titres de transports, déjà utilisés, mais avec une marque sans équivoque : au stylo on a remplacé T-10 par T-11, signe que le dernier trajet à été court, et qu’il reste une petite heure pour l’utiliser encore. La dernière mode diffusée par les réseaux sociaux. Une façon de protester contre la montée abusive du prix des billets.

C’est d’ailleurs LE sujet du moment. Lundi commence une grève de trois jours dans les transports publics à Barcelone. Une vieille histoire, qui les avait déjà  violemment opposé à l’ancienne Mairie socialiste. Mais, à l’époque, ils avaient perdu la bataille de l’opinion, usagers pris en otages, inacceptable, etc. Là, c’est un autre son de cloche. Ils ont intelligemment associé, dans une campagne  agressive de pub, la baisse des salaires des travailleurs, la montée du prix du transport, et le maintient de 600 cadres (!!), entourés de mystère, qui refusent de déclarer leur revenus et leur fonction exacte (vu qu’ils n’en on a pas, ils ont été placés au doigt par les pouvoirs publics). Et ce genre de corruption, c’est un sujet sensible en ce moment. Du coup, enhardis, ils se déclarent en grève dure et, le tout, pendant le Mobile World Congress, la plus grosse foire de téléphonie mobile au monde.

Mais revenons à la T-11. La sympathie qu’a suscitée l’initiative relève moins d’un soudain élan de solidarité entre usagers, que du simple besoin de faire chier. Et même, sûrement, de l’envie de rompre la loi, fût-ce par ce genre de micro-égratignure. En temps de crise et de grogne sociale, c’est une évidence, les rapports entre légalité et légitimité sont redéfinis. Probablement, la plus grosse réussite de toute l’agitation un peu surréaliste du printemps des indignés c’est d’avoir posé vivement cette question sur la table. Et d’emblée. Dès les premiers jours, quand ils ont défié la junte électorale, et maintenu la manifestation pendant la journée de réflexion. Action à l’illégalité manifeste, mais qui a été perçue comme légitime par une large partie de la population. La boîte de Pandore était ouverte, un verrou est tombé dans beaucoup de têtes.  

C’est la que les discours légalistes des hommes politiques sonnent de plus en plus creux et démontrent que leur déconnexion totale, un peu comme quand Papadémos, homme choisi antidémocratiquement par la Troïka et les marchés, s’aventure à condamner des « violences qui n’ont pas leur place en démocratie ».

Le plus drôle, c’est qu’une sentence de la justice reste une caution morale puissante, une arme dans cette bataille pour l’opinion sur laquelle même les indignés ne crachent pas. Après un travail assezimpressionnant de récolte de vidéos et de témoignages, leur commission justice a réussi à faire accepter, par un tribunal de grande instance, leur plainte contre la charge de police à Place Catalogne le 27 mai dernier. Et la charge à Valence, la semaine dernière, risque vraisemblablement de déboucher sur une situation similaire.

À l’heure où la Justice n’a jamais été aussi décrédibilisée en Espagne, on assiste à la judiciarisation extrême des conflits. Légalisation de la gauche abertzale basque, Statuts d’autonomie, Mariage Gay, le Juge Garzón, le Prince Urdangarín, les affaires de corruption, le pays s’est habituée à vivre au rythme des décisions de Justice, signe de l’échec, ou du refus de l’action politique à prendre leur part de responsabilité dans la résolution des problèmes. Malheureusement, à l’inverse de l’autre grand pays européen des procès starisés, à savoir, l’Italie, point de « juges rouges » ici. Si au moins, tel Falcone, ils avaient fait sauté un pont entier pour avoir la peau de Garzón, ça aurait eu une autre gueule…

5 commentaires:

Le Bougnat a dit…

C'était donc ça le T11. J'ai aps osé demander et quand je faisais une recherche google, je tombais sur des trucs de WoW. Je pensais qu'Ataru était redevenu un pathétique gamer. Me voilà donc rassuré.

Le rageux a dit…

Que je suis content de retrouver des nouvelles d'outre-Pyrénées.

C'est intéressant cette remarque sur légalité et légitimité. Comme quoi, ça pose les bonnes questions sur le devenir souterrain à moyen terme d'un mouvement.
Mais la référence judiciaire n'est peut être pas si étonnante, car arguer de la légitimité c'est bien vouloir déplacer les frontières de la loi, la modifier etc. DOnc la justice est un enjeu et un outil puisque la loi pose encore les principes démocratiques comme constituants. Un peu comme lors du mouvements des droits civiques aux Etats Unis : il y a des principes supérieurs garantis qui permettent d'éliminer les mauvaises pratiques.
C'est quand la loi n'est plus juste que ça peut faire plus mal...

Ataru a dit…

Oui, mais est-ce que c'est à la Justice elle-même de déplacer les frontières de la Loi? Pour reprendre l'exemple des États-Unis, pays aussi de judiciarisation des conflits, aucun homme politique n'a eu le courage de légaliser le Mariage gay (Oh quelle grosse hérésie du Lgbtcorrect, je devrais dire "ouvrir le mariage aux couples de même sexe"). du coup, c'est par des décisions des Cours suprêmes de plusieurs états que la chose s'est faite. Mais en Californie, par exemple, un référendum d'initiative populaire a obligé à faire marche arrière, et un des arguments c'était évidemment de quoi se mêlent les juges... En fin de comptes, c'est quand même aux politiciens de régler ce genre de conflits...

Ataru a dit…

Sinon, je ne résiste pas au plaisir de mettre cette vidéo, ultra démago, mais So Spain 2012...
Pur le contexte, le 23 février c'était aussi l'anniversaire de la tentative de Putsh de 81, et la musique, c'est évidemment de la Maquina, le plus gros apport Valencien, avec la paella, à la culture universelle :
http://www.youtube.com/watch?v=OMo7EAC_pMI&feature=related

Le rageux a dit…

Tu as raison mais quand le législateur débloque ou perd sa légitimité, la justice est une sorte de garantie des principes et des valeurs plus que du contenu en lui même de la Loi.
Cette "dérive" est sans doute lié à l'image de probité relative que conserve l'institution judiciaire bon an mal an.